Ce mois de novembre 2021 est pour les amateurs d’art ancien un moment d’effervescence. Celui-ci est notamment provoqué par l’ouverture du salon Fine Arts Paris prenant place au carrousel du Louvre jusqu’au 11. En parallèle, un certain nombre de galeries parisiennes présentent en leur office des expositions d’intérêt, participant ainsi à la création d’un climat global favorable. C’est le cas des galeries italiennes Antonacci Lapiccirella Fine Art et Maurizio Nobile Fine Art qui, jusqu’au jeudi de l’Armistice chez Eric Coatalem puis du 16 novembre au 3 décembre chez Maurizio Nobile, célèbrent deux artistes romains, un père et son fils, Vincenzo et Giovanni Battista Camuccini.
De gauche à droite :
- Vincenzo Camuccini, Dessin myologique, 1786-178, 284 x 404 m, Antonacci Lapiccirella Fine Art et Maurizio Nobile Fine Art
- Vincenzo Camuccini, Dessin myologique, 1786-178, 283 x 418 m, Antonacci Lapiccirella Fine Art et Maurizio Nobile Fine Art
Des deux, Vincenzo (1771-1844) est, et a été, le plus renommé. Si aujourd’hui son nom n’est plus que rarement évoqué, il fut l’un des grands artistes romains du début du XIXe siècle. Né en 1771, il fait preuve d’un talent précoce et, poussé par son frère Pietro, marchand-collectionneur influent, entre à l’âge de 13 ans dans l’atelier de Domenico Corvi, peintre modeste originaire de Viterbe. Ce premier apprentissage, qu’il reniera par la suite dans ses écrits autobiographiques, est complété par la pratique abondante de la copie, aussi bien d’après les maîtres classiques - Michel-Ange, Raphaël, ou encore Poussin - que d’après le modèle. Il fréquente ainsi l’hôpital Santo Spirito, un lieu privilégié par les artistes car ils pouvaient y trouver des corps disséqués. De ses visites témoignent de merveilleuses études anatomiques présentées dans l’exposition, où l’on peut admirer un véritable sens historique déjà présent chez le jeune artiste. En effet, Vincenzo Camuccini anime ses écorchés d’une force vitale évoquant la peinture d’histoire. Dans un dessin, il montre ainsi une main se crispant, telle celle d’un martyr et dans un autre -sans doute le plus beau de la série-, il fait tenir une pierre au modèle mort, transformé par ce biais en saint Jérôme, dont il dessine l’épaule, le bras et une partie du torse.
Par l’intermédiaire de son frère, Vincenzo Camuccini fréquente rapidement les milieux intellectuels romains où l’intérêt pour l’antique est en plein essor. Il est ainsi un habitué de l’atelier de la peintre Angelika Kaufmann (1741-1807) où il peut rencontrer le sculpteur Canova, le poète Goethe, ou encore le collectionneur anglais Lord Bristol. C’est ce dernier qui lance véritablement sa carrière en lui commandant de nombreuses copies d’après les maîtres anciens puis deux grandes compositions sur le modèle antique, La mort de César -son tableau le plus célèbre- et La mort de Virginie. Les esquisses préparatoires complètes de ces deux chefs-d’œuvre étaient présentées dans l’étape romaine de l’exposition mais n’ont pas fait le déplacement en France - déjà vendues ou interdites de sortie du territoire italien - ce qui est regrettable. Une seule esquisse peinte faisant référence à ces deux tableaux est ainsi visible. Il s’agit du bozetto pour la partie gauche de La Mort de Virginie montrant le décemvir Appius Claudius et son entourage. Dans ces œuvres, Vincenzo Camuccini fait étalage de son néoclassicisme, qu’il a pu perfectionner en étudiant l’art de David et de Drouais, visible dans l’équilibre des compositions et dans la science des drapés. Il se remémore également l’art de Nicolas Poussin, qu’il a abondamment étudié, comme en témoigne un dessin présenté dans l’exposition, Paysage classique avec figures, inconcevable sans les dessins du plus italien des maîtres français. Dans le bozzeto présenté, cette influence passe par une attention marquée au langage des passions ; notons ainsi l’air décidé d’Appius Claudius.
Cette influence poussinesque est également visible dans l’une des pièces maîtresses de l’exposition : Hécube découvrant le corps de son fils Polydore, datée des environs de 1790-1793. Dans ce dessin, Vincenzo Camuccini fait preuve d’une grande virtuosité technique. Ainsi, c’est en très peu de traits de plume et en quelques lavis –éléments caractéristiques de sa manière- qu’il parvient à évoquer tout le drame de la scène. Ici, la science des gestes tend au sublime, tant il est possible de ressentir l’horreur sans qu’aucun élément visuel n’évoque directement la mort. Le corps de Polydore, dont l’anatomie traitée schématiquement est un modèle du genre, est ainsi parfaitement immaculé.
La double commande de Lord Bristol ouvre les portes du succès à Vincenzo Camuccini. Il devient alors le principal représentant romain du néoclassicisme et son atelier situé Via dei Greci un haut lieu d’échange intellectuel. Delaroche, Schinkel, ou encore Horace Vernet viennent ainsi le visiter. Il peint pour les plus grands comme le prouvent les commandes passées par Joachim Murat, Manuel Godoy ou encore Marie Louise de Bourbon dont un portrait dessiné est présenté dans l’exposition. Au-delà des commandes, les honneurs abondent également : en 1806, il est élu directeur de l’Académie de Saint-Luc de Rome et en 1814, il est nommé par le pape Pie XII comme Inspecteur de la conservation des peintures publiques romaines –il était également un grand restaurateur-.
Si sa manière néoclassique le suivit tout au long de sa carrière, Vincenzo Camuccini parvint à faire évoluer son art, notamment au contact des mouvances romantiques. Ses dernières œuvres sont ainsi tributaires d’un spleen inconnu jusqu’alors. Le plus bel exemple de cela dans l’exposition se retrouve dans les dessins préparatoires pour une Déposition, commandée en 1835 par le cardinal Ercole Dandini pour la cathédrale de Terracina, mais qui ne fut jamais réalisée. Dans ces œuvres, Vincenzo Camuccini s’inspire de la représentation de la même iconographie par Daniele da Volterra en l’église de la Trinité-des-Monts, en en renforçant cependant l’aspect mélancolique du Christ, dont le visage paisible est empreint d’une émotion à laquelle on ne peut rester insensible.
L'une des forces de l’exposition présentée par les galeries Antonacci Lapiccirella Fine Art et Maurizio Nobile Fine Art est d’associer à l’exposition des œuvres de Vincenzo Camuccini la production de son fils Giovanni Battista (1819-1904). Ce dernier, qui se forma auprès de son père, fut ce qu’on peut qualifier de peintre de loisir dans le sens où il ne chercha jamais à vivre de son art. Peignant en plein air sur le modèle de Giambattista Bassi et de Pierre-Henri de Valenciennes, il est l’auteur de très belles peintures aux compositions audacieuses et dont l’atmosphère tendant à la mélancolie semble préfigurer l’école de Barbizon. D’ailleurs, le début de la production de Giovanni Battista est concomitant de la pénétration romantique dans l’œuvre de Vincenzo, témoignage de l’influence mutuelle entre le père et le fils. Ce lien artistique était tel qu’à la mort de Vincenzo son fils posa définitivement les pinceaux.
Ainsi, les galeries italiennes Antonacci Lapiccirella Fine Art et Maurizio Nobile Fine Art présentent un ensemble exceptionnel, dont la plupart des œuvres -qui sont issues des descendants des artistes- sont inédites. Cette exposition est donc un évènement, d’autant plus que les Camuccini sont très peu représentés dans les collections publiques françaises. Le musée du Louvre ne conserve qu’un unique dessin, La générosité de Scipion, de Vincenzo. Nous appelons par conséquent de nos vœux l’enrichissement des collections nationales envers ces artistes -et surtout Vincenzo- bien trop peu connus en France*.
Mis à jour du 1/12/2021 :
Alors que l'exposition n'est pas encore achevée - à voir jusqu'au 3 décembre-, la fondation Custodia, avec le "goût d'avance" qui la caractérise, vient d'annoncer l'acquisition d'une huile sur carton de Giovanni Battista Camuccini Rocchette in Sabina. Santa Maria dei Monti auprès de la galerie Antonacci Lapiccirella Fine Art. Comme l'indique le titre, il s'agit de la représentation d'une petite chapelle, Santa Maria dei Monti, située sur les hauteurs de Rocchete, petite bourgade à moins d'une centaine de kilomètres du nord de Rome. C'est par des coups de pinceau vifs - notons le brio du traitement des nuages ou des rochers au premier plan à droite- que Giovanni Battista Camuccini anime ce paysage rural où déambule un muletier et une femme dont le costume rouge attire l'oeil. Cette oeuvre, sans doute la plus belle de toutes celles présentées, arrive dans les collections de l'institution de la rue de Lille au moment même où est inaugurée son exposition Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870. Dans cette dernière, il sera d'ailleurs possible d'y admirer une autre oeuvre de Giovanni Battista Camuccini : Scorcio del lago di Albano dalla via di Palazzolo. En collection privée, cette oeuvre a été vendue par la même galerie à la TEFAF 2020.
Antoine Lavastre
*Il faut ici mentionner le travail de réhabilitation mené par Christian Omodeo, historien de l’art et auteur d’une thèse sur Vincenzo Camuccini, soutenue en 2011.
I Camuccini : Tra neoclassicismo e sentimento romantico.
Chez Eric Coatalem jusqu'au 11 novembre
136 Rue du Faubourg Saint-Honoré - 75008 Paris info@alfineart.com info@maurizionobile.com Maurizio Nobile Fine Art 16 novembre - 3 décembre 2021 Hôtel Jean Bart | Claude Passart 2, rue Chapon - 75003 Paris Tel. + 33 (0)6 22 54 51 89 info@maurizionobile.com www.maurizionobile.com
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