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Quand la République régnait à Versailles : la salle du Congrès et les appartements du président du Congrès


Léon Bonnat (1833-1922), Portrait d'Adolphe Thiers, huile sur toile, musée d'Orsay, 1878 ©Aurélien Delahaie
Léon Bonnat (1833-1922), Portrait d'Adolphe Thiers, huile sur toile, musée d'Orsay, 1878 ©Aurélien Delahaie

Le regard perçant et grave derrière sa petite paire de lunettes, le député de la Seine Adolphe Thiers, ancien président de la République, pense tenir sa revanche. Installé sur les bancs de l’opéra royal de Versailles où se tient la séance de l’Assemblée nationale, il prend part à un événement majeur de l’histoire de France. L’ambiance est plus que pesante ce 30 janvier 1875 à l’instant où chacun doit s’exprimer, en son âme et conscience, sur l’adoption d’un amendement déposé par le député Henri Wallon concernant la loi constitutionnelle relative à l’organisation des pouvoirs publics en France. Faut-il, oui ou non, y inscrire que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale » ? En cas d’adoption, la République provisoire - proclamée à la hâte durant la guerre de 1870 - deviendra le régime politique officiel de notre pays. Les monarchistes, ultra majoritaires à la chambre depuis les élections de février 1871, veulent pourtant à tout prix l’éviter. Le problème est que, depuis quatre ans, le parti royaliste, divisé entre orléanistes et légitimistes, est incapable de s’entendre sur le nom d’un éventuel futur monarque. Face à cette cacophonie, Thiers, désigné comme chef de l’État et du gouvernement provisoire, finit par se ranger du côté de la République afin d’assurer une stabilité politique au pays, faute de mieux. Faisant régulièrement des déclarations publiques en ce sens, il provoque un tollé qui le pousse à la démission en 1873. L’ex-président de la République glisse ainsi son bulletin dans l’urne repensant à tous ces événements. Dans l’enceinte du célèbre palais des rois de France, sera-t-il l’homme qui obtiendra définitivement la tête de la monarchie ? A 18h45, le président de l’Assemblée nationale annonce les résultats. « Nombre de votants : 705 ; majorité absolue : 353 ; pour l’adoption : 353 ; contre l’adoption : 352. L’Assemblée nationale a adopté ». Au-delà de l’événement historique qui vient de se jouer, ce vote ouvre un nouveau chapitre architectural et artistique du château de Versailles.


Edmond de Joly (1824-1892), Salle du Congrès à Versailles, 1875 ©Aurélien Delahaie
Edmond de Joly (1824-1892), Salle du Congrès à Versailles, 1875 ©Aurélien Delahaie

A une voix près, la République est donc devenue le régime politique officiel de la France. A une voix près également, les députés actent une autre modification importante, celle de la restauration d’une deuxième chambre législative au Parlement. Cette disposition suppose alors l’aménagement d’un second hémicycle au sein du château de Versailles, les parlementaires effrayés par les troubles politiques récents se refusant à rentrer dans Paris, tout comme Louis XIV s’y était lui-même refusé en son temps… Prenant acte des nouvelles lois constitutionnelles adoptées définitivement les 24, 25 février et 16 juillet 1875, l’État passe alors commande d’une nouvelle salle des séances dans l’aile sud du château, dite « aile du Midi ». Celle-ci doit accueillir les travaux de la chambre basse. Elle doit aussi pouvoir abriter l’ensemble des membres du Sénat – qui continuent de siéger ordinairement dans l’opéra royal situé dans l’aile nord – à l’occasion de l’élection du président de la République. C’est tout naturellement que les travaux sont confiés à l’architecte Edmond de Joly, fils de Jules de Joly, chargé en 1828 de l’aménagement du célèbre hémicycle du Palais-Bourbon.


Edmond de Joly (1824-1892), Verrière de la salle du Congrès à Versailles, 1875 ©Aurélien Delahaie
Edmond de Joly (1824-1892), Verrière de la salle du Congrès à Versailles, 1875 ©Aurélien Delahaie

Auguste Couder (1789-1873), L'Ouverture des Etats généraux à Versailles, 5 mai 1789, huile sur toile, château de Versailles, 1839
Auguste Couder (1789-1873), L'Ouverture des Etats généraux à Versailles, 5 mai 1789, huile sur toile, château de Versailles, 1839

Pourvu à l’origine de 860 sièges pour les représentants de la nation et de 600 places dans les tribunes hautes destinées au public et à la presse, la salle se pare d’un décor rappelant les grands salons de Louis XIV. Les galeries du public sont soutenues par des colonnades monumentales à chapiteaux corinthiens tandis que l’ensemble des parois sont peintes en faux marbres verts, rouges et blancs. Le plafond est également pourvu d’une verrière permettant un vaste éclairage zénithal. A l’exception d’un plan rectangulaire qui la différencie de la salle du Palais-Bourbon, le programme architectural et décoratif est un hommage appuyé à l’œuvre du père d'Edmond de Joly. Grâce à l'emploi d'une armature métallique et de briques, les travaux sont menés tambour battant et achevés en l’espace de quelques mois seulement. L’Assemblée nationale peut tenir ses premiers débats dès le mois de mars 1876. Au-dessus de la tribune de l’orateur, où prend aussi place le président de l’Assemblée, est installée une copie de L’ouverture des États généraux à Versailles, le 5 mai 1789, peint par Auguste Couder. Pied de nez révolutionnaire à la monarchie ou réminiscence de l’Ancien Régime ? Le sujet se veut sans doute volontairement consensuel dans un paysage politique encore très clivé par la question.


Léon Aclocque (1834-1893), Le fumoir de l'Assemblée nationale, dans le foyer de l'Opéra royal de Versailles, vers 1875, huile sur toile, château de Versailles, 1876 ©Aurélien Delahaie
Léon Aclocque (1834-1893), Le fumoir de l'Assemblée nationale, dans le foyer de l'Opéra royal de Versailles, vers 1875, huile sur toile, château de Versailles, 1876 ©Aurélien Delahaie

Redevenant un haut lieu de la politique française, le château de Versailles prête encore et toujours à polémique. Ce dernier reste en effet associé à une opulence malvenue du pouvoir ainsi qu’à l’absolutisme royal. Le retour forcé de Louis XVI à Paris en octobre 1789 et l’installation des différents monarques au palais des Tuileries jusqu’en 1871 furent ainsi les symboles de la fin de l’absolutisme et de l’avènement d’un relatif parlementarisme. Aux yeux de nombreuses figures de la gauche radicale de l’époque, le retour du pouvoir - aussi législatif soit-il - entre les murs du palais des rois est perçu comme une régression. La tenue des travaux du Parlement à Versailles s’avère ainsi, en cette fin de XIXe siècle, être l’un des symptômes de la lutte entre les intérêts de bourgeoisie et ceux du peuple laborieux. Il faut attendre l’arrivée de Léon Gambetta au Perchoir et de la gauche au pouvoir lors des élections législatives de 1876 pour qu’une loi acte définitivement, en 1879, le retour des assemblées à Paris, au Palais du Luxembourg et au Palais-Bourbon.


Maison Arthus-Bertrand, Grand collier de la Légion d'honneur, or et émail, 1953
Maison Arthus-Bertrand, Grand collier de la Légion d'honneur, or et émail, 1953

Pour autant, l’hémicycle de l’aile du Midi n’en reste pas moins un lieu d’événements solennels puisqu’il est le seul en France à permettre de rassembler les deux chambres lors de l’élection du Président sous la Troisième puis la Quatrième République. De 1879 à 1959, ce sont donc quinze personnalités qui y sont élues de Jules Grévy à Charles de Gaulle, durant des scrutins aux scénarios parfois dramatiques, comme en 1920 lorsque Paul Deschanel l’emporte à la surprise générale contre Georges Clemenceau, pourtant largement donné favori. Aussitôt élu, le nouveau chef de l’État est investi de ses pouvoirs lors d’une cérémonie organisée jusqu’en 1953 dans les appartements du président de l’Assemblée. Il se fait alors remettre le Grand collier de la Légion d’honneur. Ces salons se situent dans les anciens appartements du comte de Provence – devenu le roi Louis XVIII entre 1814 et 1824 – remeublés et redécorés dans le style néo-Louis XV. C’est dans le premier salon en entrant que se déroule l’investiture. Chacune de ces élections fait l’objet d’une grande effervescence et voit la presse internationale se réunir aux abords du château pour couvrir ces instants historiques. Plus que jamais, ce palais où sont « sacrés » les Présidents concentre ainsi de forts symboles tant artistiques que politiques.


Le fauteuil du président du Congrès, placé en haut de la tribune de l'orateur ©Aurélien Delahaie
Le fauteuil du président du Congrès, placé en haut de la tribune de l'orateur ©Aurélien Delahaie

Depuis 1962 et le passage à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, le rôle de la célèbre salle a encore changé. Rebaptisé Congrès dans la Constitution de 1958, le rassemblement du Sénat et de l’Assemblée nationale à Versailles se produit à l’occasion de l’adoption d’une modification de la Constitution ou pour autoriser l'entrée d'un nouveau pays dans l'Union européenne. Celles-ci doivent alors être votées à la majorité des deux tiers. Le Congrès s’est ainsi réunit pour la dernière fois le 4 mars 2024 en statuant sur l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans notre loi fondamentale. Enfin, depuis 2008, le président de la République en exercice, qui ne peut pénétrer ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat, est autorisé à convoquer les représentants du peuple à Versailles afin de leur faire une adresse officielle. Nous noterons au passage qu’avec cette disposition, le sujet du tableau de Couder, au-dessus de la tribune, fait un curieux clin d'œil au passé. Régulièrement visible à la télévision pour ces occasions, la salle du Congrès n’est habituellement pas ouverte au public. Toutefois, l’année 2025 marquant les 150 ans de l’adoption de l’amendement Wallon et des lois constitutionnelles de la Troisième République, la présidente de l’Assemblée nationale, Madame Yaël Braun-Pivet, a souhaité ouvrir à tous les portes de l’hémicycle et des appartements du président du Congrès. Véritable monument à l’intérieur du monument, les visiteurs sont invités à venir découvrir ces lieux chargés de notre histoire entre le 15 février et la fin du mois de septembre prochain. La visite en est libre chaque week-end et est accompagnée d’un guide durant la semaine.

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