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Réalisation, écriture et voix : Nicolas Bousser
Musique et pistes sonores : Julien Bousser
Fin 1917 à Paris : le service bat son plein dans une brasserie. Les cliquetis des couverts se superposent aux voix des clients. Dans un coin, un italien profère des insultes envers on ne sait qui, tandis qu’une troupe de joyeux copains chante à tue-tête, enchaînant les verres. De l’autre côté de la salle, une jeune femme qui n’a pas encore 18 ans s’installe, vêtue d’un couvre-chef de fortune. Elle sort d’une séance de pose. Au bar, le patron observe avec satisfaction ces tableaux de vie. Ce tohu-bohu déborde bientôt sur le boulevard, celui du Montparnasse. Le centre du monde est là, au carrefour Vavin, sur les banquettes rouges de La Rotonde.
Willy Maywald, Taxi Renault devant la Rotonde la nuit en 1938. Musée Carnavalet.
Tout commence en 1903, au 105 du Boulevard du Montparnasse, côté impair, face à une institution déjà bien installée dans le quartier, le Dôme. La Rotonde est d’abord un bistrot ouvrier, populaire, dans lequel évolue une faune sans le sou, multiple et étrange. 1911, c’est le tournant. Un auvergnat bourru rachète l’établissement. Son nom : Victor Libion, bientôt surnommé par tous Papa Libion. Celui-ci acquiert également le magasin attenant et en vend le fonds de commerce pour agrandir sa brasserie. La Rotonde s’ouvre, rassemblant bientôt toutes les couches sociales. Elle attire les artistes, présent en grand nombre dans le quartier, de la rue Campagne-Première à l’avenue du Maine en passant par la cité Falguière.
Les cubistes figurent parmi les premiers à investir les lieux. Apparaissant tel un jeune Bonaparte de la peinture, comme l’écrit Charles Fegdal en 1925, Picasso mène la troupe, le front volontairement barré d’une mèche noire.
Moïse Kisling, Pâquerette et Pablo Picasso à la Rotonde en 1916
La Rotonde devient également un repère d’intellectuels venant du monde entier. Un certain Vladimir Illitch y retrouve à plusieurs reprises son collègue Lev Davidovitch Bronstein. D’autres groupes d’artistes émergent. Soutine, Foujita, Kisling et l’irascible Modigliani - qui y rencontre sa future femme Jeanne Hébuterne - se réunissent autour de Kiki de Montparnasse et d’autres jeunes modèles. En 1921, Chaplin de passage à Paris avec Douglas Fairbanks et Mary Pickford, choisit de se rendre dès son arrivée à La Rotonde. Il y est acclamé par les clients.
Il n’est pas rare que le père Libion nourrissent à l’œil des artistes sans le sou. À la fin de la Première Guerre mondiale, ils sont de plus en plus nombreux, attendant les livraisons matinales pour repartir avec leur morceau de pain. Libion proteste à chaque fois, mais laisse les choses se faire dans le fond de bon coeur tandis que des couverts et verres disparaissent mystérieusement des tables de l’établissement. Un soir, Modigliani organise dans son atelier situé non loin de là une grande soirée avec ses amis pour fêter la vente de plusieurs toiles. Ceux-ci, croyant bien faire, invitent Libion. Malaise pour le peintre italien : l’entier mobilier de la fête… provient de la Rotonde ! Voyant cela, Libion quitter les lieux, mais revient quelques minutes plus tard les bras chargés de bouteilles. « Seul le vin n’était pas de chez moi » dit-il ! L’anecdote est relatée par Kiki de Montparnasse dans ses Souvenirs retrouvés.
Amedeo Modigliani, Pablo Picasso et André Salmon à La Rotonde en décembre 1916
Mais au début des années 20, les problèmes s’accumulent pour l’auvergnat et plusieurs affaires viennent assombrir le tableau. Il est contraint de vendre l’établissement, mais continuera, dit-on, à venir y boire avec ses galopins d’artistes. La Rotonde est alors également devenue un repère pour une clientèle bien plus aisée, venant comme l’écrit Foujita dans de belles limousines pour voir vivre les artistes, « un peu comme des bêtes curieuses ». La concurrence se fait plus rude avec l’ouverture en 1923 du Select et de la Coupole en 1927, au numéro 102 du Boulevard. La Rotonde connait un réfection d’ampleur au milieu des années 1950, perdant au passage un partie de sa superficie au profit de la création d’un cinéma attenant. Éternel phare du Montparnasse, elle accueille en 2017 un candidat victorieux au premier tour de l'élection présidentielle.
Hemingway écrivait en 1926 : « Le taxi s'arrêtera en face de la Rotonde. Quel que soit le café de Montparnasse où vous demandez à un chauffeur de la rive droite de vous conduire, il vous conduira toujours à la Rotonde ». Peut-être est-ce vraiment le cas.
Bibliographie sélective :
- Prin A. dite Kiki de Montparnasse, Souvenirs retrouvés, texte de 1938, éditions José Corti 2021, 5e tirage
- Foujita L. Souvenir de Montparnasse, Marianne, n°338, du 27 mars 1940
- Fuss-Amore G., Des Ombiaux M. Montparnasse, Mercure de France, n°633, du 1er novembre 1924.
- Fegdal C. Rendez-vous d’artistes : la Rotonde, Revue des Beaux-arts, n°441, du 1er décembre 1925
- Hemingway E. The Sun Also Rises, 1926.
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