Inscrite au Registre Mémoire du Monde de l'UNESCO, la carte de Hereford est la plus grande représentante des mappae mundi depuis la destruction de la monumentale carte d'Ebstorf au cours de la Seconde Guerre mondiale. Réalisée vers la fin du XIIIe siècle, elle mesure environ cent soixante centimètres de haut pour cent trente centimètres de large. A la lumière de la cartographie assistée par satellite, cette carte pourrait sembler approximative, si ce n'est erronée, d'autant plus qu'elle est contemporaine des premiers portulans qui, à l'image de la Carta Pisana, présentent le contour des continents avec une remarquable précision. Ce serait oublier que cette représentation cartographique se veut avant tout le support d'une réflexion théologique complexe et riche en illustrations.
Si son ou ses auteurs sont à ce jour inconnus, une inscription en bas à gauche de la carte évoque cependant un certain Richard de Haldingham et Lafford, associé ou assimilé à Richard de Bello, sans qu'il soit possible à ce stade de savoir s'il en est l'auteur ou le commanditaire. La carte a probablement été réalisée à Hereford ou ses alentours, bien que le soin apporté à la réalisation du symbole situant Lincoln ait pu contribuer à l'hypothèse d'une conception lincolnienne. La représentation de la ville de Hereford, où la carte est conservée, a été altérée, peut-être par les doigts des milliers de visiteurs qui ont traversé la ville au fil des siècles.
Répondant au modèle des cartes en TO (Terrarum Orbis), la carte de Hereford représente le monde séparé en trois grands ensembles : l'Asie en haut, l'Afrique à droite et l'Europe à gauche. Reprenant la tripartition du monde avancée par Hécatée de Milet, la disposition spatiale répond ici à des conceptions religieuses : à l'intersection du Don, de la Méditerranée et du Nil se trouve Jérusalem, centre à partir duquel toute la carte à été structurée, comme en atteste la perforation au centre de la ville, probablement la trace d'un compas. Quant au fait que l'Est se situe en haut de la carte, cela se rapporte à l'orientation du chœur des édifices religieux chrétiens. Et pour cause : une représentation du Christ se situe au sommet. A ses pieds, faisant figure d'extrême géographique, le jardin d'Eden est coupé du monde par la mer, des flammes, une muraille et des portes closes.
L'iconographie religieuse tient une place prépondérante dans la carte de Hereford. Plusieurs lieux font en effet référence à des épisodes bibliques. Semi-coulées dans les eaux de la mer morte, Sodome et Gomorrhe sont placées en pendant à une représentation de l'arche de Noé. A travers les fenêtres de cette dernière apparaissent quelques personnages, parmi lesquels un homme barbu, représentant sans doute le patriarche. L'Exode est quant à lui figuré par une ligne présentant le chemin du peuple Hébreux depuis l'Egypte. Fendant une étendue vermeille avant de s'enrouler sur elle-même, elle évoque le passage de la mer Rouge et l'errance dans le désert de Schur. Enfin, au-dessus de Jérusalem et du Christ en croix qui la surplombe, Babylone est le plus grand ensemble architectural de toute la carte, dominée par la mythique tour de Babel.
Seulement, si la prépondérance d'un imaginaire chrétien se ressent dans l'œuvre, il n'occulte pas complètement la présence de symboles issus de la mythologie grecque. Moult créatures surnaturelles jalonnent la carte, particulièrement dans les régions les plus éloignées de l'Europe de l'Ouest. Les sciapodes, des humanoïdes possédant une seule jambe et un très grand pied, y côtoient les cynocéphales, des humains à tête de chien. En Crête, le labyrinthe du Minotaure présente une perforation en son centre, qui indique l'usage d'un outil pour tracer ses cercles. Cela renvoie aux dédales qui se substituaient dans certaines églises au pèlerinage, à l'image du labyrinthe digital de la cathédrale de Lucques. La légendaire toison d'or est également représentée, laissant au spectateur le soin d'imaginer le trajet des Argonautes. Il apparaît que la théologie et la connaissance des textes antiques alimentent une conception spatiale fondée sur une disposition réflexive des lieux, certaines représentations renvoyant toutefois à des croyances plus contemporaines, comme la mandragore dont les racines, évoquant un corps humain, sont prétendument capables d'émettre un son aussi puissant que mortel.
Toutefois, si l'Orient méconnu et la Méditerranée antique se font le support d'un discours religieux, l'Europe de l'Ouest est quant à elle le témoin de considérations liées à l'actualité, par le biais d'une géographie plus exhaustive. Par exemple, les régulières escarmouches entre l'Angleterre et la France sont probablement à l'origine des rayures barrant la ville de Paris et ses alentours. De plus, et pour une raison inconnue, l'Afrique et l'Europe ont échangé leurs noms : le lettrage doré censé nommer les continents est donc erroné.
Cette mappa mundi est une source précieuse lorsqu'il s'agit d'appréhender l'imaginaire collectif au XIIIe siècle. La profusion des modèles en Terrarum Orbis ne signifie pas que cette idée était considérée comme scientifiquement exacte : il s'agit d'une interprétation des connaissances géographiques de l'époque à travers le prisme de la religion chrétienne. En effet, la plupart des individus lettrés connaissent la forme sphérique de la Terre, et ce depuis les travaux d'Aristote et les calculs d'Eratosthène.
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