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Paul Poiret (1879-1944) : le couturier et les arts


Embauché par Jacques Doucet en 1898, le jeune Paul-Henri Poiret fait ses gammes en tant que dessinateur de mode, avant de devenir l'un des plus célèbres couturiers de son temps. Avec son maître, il partage la passion de l'art et l'étoffe du collectionneur. Après "Jacques Doucet (1853-1929), couturier, collectionneur et mécène", poursuivons notre série sur les pas de ces figures emblématiques de la mode et des arts.


« Tout le cadre de M. Doucet était composé de vieilles gravures et de tableaux du XVIIIe siècle, et de meubles rares et anciens, mais très sobres et choisis avec un goût parfaitement sûr. »

Paul Guillaume, Portrait du couturier Paul Poiret, 1927, Paris, Musée Carnavalet © Paris Musées / Musée Carnavalet.

Paul Poiret naît à Paris le 20 avril 1879, dans la rue des Deux-Ecus. Son père y est marchand de draps, à l’enseigne de « l’Espérance ». L’environnement familial le plonge déjà dans l'univers de la mode et de l'art. Puîné d’une fratrie de quatre enfants, Paul est le seul garçon. Sa sœur aînée, Jeanne, épouse le joailler René Boivin et reprend la direction de la maison de joaillerie à la mort prématurée de son époux. La cadette, Germaine, est modiste et peintre, tandis que la benjamine, Nicole, se marie avec le grand décorateur et dessinateur de meubles André Groult.

Une fois bachelier, Paul Poiret est envoyé travailler par son père chez un ami fabricant de parapluies. Mais il ne se satisfait pas de cet emploi. L'homme se passionne pour les femmes et leur toilette. Avec les chutes de soie tombées de la coupe des ombrelles, il rêve, sur son petit mannequin en bois, des robes somptueuses qu’il pourrait créer.

Ses débuts dans le monde de la couture sont marqués par sa première expérience chez Jacques Doucet, qu'il considère comme son modèle unique. Il est déterminé et s’imagine déjà comme "le Doucet de l'avenir".


À la fin de son service militaire, il renoue avec le dessin de mode et travaille pour la maison Worth, alors dirigée par les deux fils du couturier d'origine britannique. Loin des robes d'apparat réalisées par Charles Frederick Worth pour l'impératrice Eugénie en son temps, ou des robes opulentes de son fils Jean, inspirées des tableaux de Nattier et de Largillière, Poiret arrive avec des idées nouvelles et un tempérament qui n'emportent pas l'adhésion de tous. Ambitieux, il décide de se lancer seul, en 1903, et ouvre sa propre maison de couture dans un petit local situé au 5 rue Auber. Bientôt connues du Tout-Paris, ses créations habillent les femmes les plus en vue de la Belle Époque. Parmi elles, la grande Réjane ! Poiret l’avait rencontrée pour la première fois alors qu'il travaillait chez Doucet. Encore très jeune et débutant, il fut pourtant chargé de réaliser le manteau de la comédienne pour la pièce Zaza, de Berton et Simon (1898). Ce vêtement de tulle et de taffetas noir parsemé des iris du peintre éventailliste Billotey lui assura un avenir prometteur.



Paul Nadar, Photographie de Charlotte Gabrielle Réju dite Réjane, dans "Zaza" (comédie de Berton et Simon), 1898, négatif monochrome sur support verre © Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Dist. RMN-GP / Paul Nadar.
Billotey (peintre), Vanier-Chardin (éventailliste), Eventail avec iris, soie et nacre, ca. 1890, Londres, The Fan Museum


Le cercle artistique


« Nous fréquentions les antiquaires, les musées, et nous travaillions sans cesse à enrichir notre culture, et aiguiser notre sensibilité. »

"Les choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape" (1911), Londres, V&A Museum.

Paul Poiret a toujours vécu entouré d'artistes. À ses débuts en tant que couturier, il fréquente notamment Picabia (« le Fauve qui, alors, copiait sagement Sisley » écrit-il dans son autobiographie). Plusieurs artistes attirent son attention pour leurs dessins qui saisissent l’esprit de l’époque ; en particulier Jean Villemot (1880-1958) et Paul Iribe (1883-1935). Poiret rencontre ce dernier et lui demande de réaliser un album de dessins représentant ses robes. Ainsi naquit l’ouvrage Les Robes de Paul Poiret, illustré par Paul Iribe (1908). À cette époque, l’illustration de mode n’est évidemment pas nouvelle, mais l’usage que Poiret en fait démontre un esprit commercial et stratégique original : « Un exemplaire en fut adressé à chaque souveraine d’Europe, portant après les pages de garde une dédicace spécialement imprimée en beaux caractères. » C’est ensuite au tour du dessinateur Georges Lepape (1887-1971) de prêter son talent aux créations du couturier, dans Les choses de Paul Poiret, illustré par Georges Lepape (1911).

Durant toute sa vie, Poiret côtoie de nombreux artistes et se constitue une collection. Le peintre Jean-Louis Boussingault (1883-1943) lui présente notamment André Dunoyer de Segonzac (1884-1974), encore peu célèbre et incompris, mais à qui il achète la toile des Buveurs.


André Dunoyer de Segonzac, Les Buveurs, 1910, huile sur toile, Paris, Centre Pompidou © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-GP / Bertrand Prévost.


« J’ai toujours aimé les peintres, je me sens de plain-pied avec eux. Il me semble que nous exerçons le même métier et que ce sont mes camarades de travail. »

Avec son esprit avant-gardiste et son œil précurseur, Poiret se rapproche d’artistes encore méconnus, mais promis à une postérité brillante. À Chatou, où réside une colonie d’artistes, il fréquente entre autres Derain et Vlaminck.




Paul Poiret et les arts décoratifs


Atelier Martine, Echantillon de papier peint "Jacinthes", 1924, papier continu à pâte mécanique, impression au cylindre en 7 couleurs, Paris, MAD © Paris, MAD / Cyrille Bernard.

Désireux de transmettre son amour pour l'art, Paul Poiret crée l'Ecole d'art décoratif "Martine", du nom de l'une de ses filles. Dans les années 1910, il aménage plusieurs pièces de sa maison pour y recevoir des jeunes filles, sans formation particulière et issues du milieu ouvrier. Celles-ci apprennent alors le dessin d'après nature. Au Jardin des Plantes ou dans les serres de la ville de Paris, elles réalisent de charmants motifs de fleurs dans un style naïf. Ces dessins constitueront le point de départ de futures collections de tissus et de tapis. Par sa fraicheur et sa spontanéité, la maison "Martine" attire l'attention du peintre Raoul Dufy (1877-1953), lui aussi très versé dans la décoration d'intérieur. De la rencontre des deux hommes, naissent une collaboration fructueuse et une modeste entreprise d'impressions de tissus, la Petite Usine, dans un local du boulevard de Clichy. Dufy transpose notamment, pour Poiret , ses motifs du Bestiaire de Guillaume Apollinaire, sous forme de tampons de bois gravés destinés à l'impression textile. Les papiers peints et étoffes imprimées seront bientôt exécutés par des façonniers spécialisés.

L'Atelier Martine réalise aussi quelques rares meubles, d'une grande simplicité et relevant plutôt du mobilier de jardin. En 1925, Poiret participe naturellement à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Ses créations sont présentées sur les « Péniches Paul Poiret » : « Amours » pour la présentation des créations de la maison Martine, « Délices » pour la présentation des créations de la maison Rosine, et « Orgues » pour la présentation des élégances de la Maison Paul Poiret.



Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur la vie de Paul Poiret et le personnage fantaisiste qu'il fut. Quelque peu oublié de nos jours, le couturier connut en son temps un succès retentissant. Le faste de ses fêtes, réunissant les personnalités les plus influentes de l'époque, ses décors et costumes pour le théâtre qui bousculèrent l'art de la mise en scène, son goût pour l'orientalisme marqué par les Ballets russes de Diaghilev, et ses créations audacieuses marquèrent le début du XXe siècle. À la fin des années 1920, la maison Poiret connaît ses derniers feux et ferme en 1929. Retiré de la vie mondaine, l'ancien couturier-parfumeur s'adonne à la peinture, avant de finir ses jours seul et ruiné en 1944. Visionnaire et ami des artistes, Paul Poiret, nous permet aujourd'hui de tisser des liens entre la mode et l'art, grâce à l'œuvre de sa vie.



Margaux Granier-Weber




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