Sculptrice, céramiste, un temps décoratrice, illustratrice et affichiste, Odette Lepeltier (1914-2006) est l’auteure d’un Œuvre profus et protéiforme qui reste pourtant peu connu. Depuis la fin du mois de février, elle est célébrée à travers une grande rétrospective organisée par La Piscine – Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix. Cette exposition monographique est la toute première qui lui est consacrée. Pour l’occasion, une partie du fonds d’atelier de l’artiste, des œuvres provenant du Centre national des arts plastiques (CNAP) ainsi que des archives prêtées par la famille ont été réunies.
Affiche de l'exposition « Odette Lepeltier (1914-2006). Forme et couleur » organisée à La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix
© La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent, Roubaix
Née en 1914 dans une famille de riches commerçants parisiens, Odette Lepeltier, alors nommée Pouget, se tourne très tôt vers une carrière artistique. À l’âge de vingt ans, elle intègre l’École des beaux-arts de Paris où elle suit un enseignement classique en peinture et en sculpture. Elle se forme ensuite auprès du peintre, graveur et illustrateur Paul-Albert Laurens (1870-1934) avant de rejoindre l’atelier de la peintre et céramiste Anne-Marie Fontaine (1900-1938), qui travaille en tant que décoratrice pour la Manufacture nationale de Sèvres.
Les années 1930 marquent un tournant dans sa carrière. À l'heure du renouveau des arts appliqués en France, la méthode et le style d’Odette Lepeltier se précisent : l’artiste se tourne vers la ronde-bosse et fait preuve d’un véritable talent de coloriste. Son évolution l’amène à travailler un temps pour Primavera – atelier de création des magasins du Printemps créé en 1912 alors sous le patronage de la décoratrice Colette Gueden (1905-2000) – où elle découvre sa vocation. L’ouverture de son propre atelier à La Varenne-Saint-Hilaire, au sud-est du bois de Vincennes, signe le début d’un nouveau type de production : grâce à l’aide et au soutien du céramiste Marcel Guillot (1910-1985), elle parvient à réaliser de grandes figures en céramique émaillée, pièces qui la font connaître dans les salons parisiens.
Il faut attendre les années 1940 pour que le travail de céramiste d’Odette Lepeltier soit officiellement reconnu et récompensé. Ses participations successives au Salon de l’Imagerie (1941-1949), au Salon de l’Union des femmes peintres et sculpteurs (1944-1948) ainsi qu’au Salon des Artistes décorateurs (1945-1949), lui font gagner de la visibilité et lui permettent d’obtenir les faveurs de nombreux commanditaires, à commencer par l’architecte André Arbus (1903-1969) et le peintre Rémy Hétreau (1913-2001). Elle connaît alors un grand succès : après avoir réalisé un ensemble de fontaines et de bas-reliefs décoratifs pour le hall du Conservatoire national de musique de Paris, elle vend en 1945 à l’État La Coquette (1945, Paris, musée des Arts décoratifs), une grande statuette féminine en terre cuite émaillée tenant dans une main un bouquet et dans l’autre un miroir.
L’intensification des commandes pousse Odette Lepeltier à créer, en 1943, une société portant le nom de Daphné, située au 198, rue de Rivoli à Paris. Cette boutique de décoration, qui fait aussi office de galerie, lui permet de s’entourer d’artistes et d’artisans céramistes dont elle vend les pièces : Paule Marrot (1902-1987), Georges Jouve (1910-1964) et Louise-Edmée Chevalier (1906-2003) font notamment partie de son entourage.
Après la reconnaissance de son statut de céramiste, la décennie 1950 vient couronner de succès Odette Lepeltier pour son travail de décoratrice. En 1953, quelques-unes de ses œuvres sont présentées dans l’exposition Paule Marrot au musée des Arts décoratifs, après quoi sa renommée lui permet de collaborer durablement avec les décorateurs René et Jacques Denarcy. Le goût de l’aménagement intérieur la fait ensuite passer du côté du décor extérieur, dans lequel elle tente de s’épanouir en alliant la céramique à l’architecture.
Toutes ces contributions lui valent d’être exposée en 1960 au Japon et de participer en 1980-1981 à l’exposition Céramique française contemporaine. Sources et Courants au musée des Arts décoratifs. Mais en dépit de cette large diffusion, il semblerait que le travail d’Odette Lepeltier ait été presque oublié.
En 2011, le fonds des ateliers d’Odette et de Robert Lepeltier, son mari, fait l’objet d’une dispersion en vente publique. Avec l'aide des amis du musée, La Piscine de Roubaix, déjà propriétaire de deux œuvres, acquiert un ensemble important d’études constitué de soixante-neuf carnets de croquis et deux mille quatre cent quarante-cinq feuilles libres. Ces dessins, véritable matrice de la création de l’artiste, n’avaient pas été produits dans le but d’être montrés au public. C’est pourtant de cette somme entrée dans les collections qu’est né le projet de l’exposition.
De gauche à droite : Odette Lepeltier, Étude pour Le Jardinier, années 1950, crayon et gouache sur papier, Roubaix, La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent ; don de la Société des amis du musée en 2011 ; Le Jardinier, vers 1945, céramique émaillée, collection particulière ; Le Jardinier, vers 1945, céramique émaillée, Paris, collection particulière
© La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent, Roubaix
L’hommage rendu à Odette Lepeltier est aussi l’occasion de célébrer l’identité du musée La Piscine. Au début du XXe siècle, Victor Champier (1851-1929), premier directeur de l’institution, avait œuvré à l’abolition des frontières entre les beaux-arts et les arts décoratifs en se rendant acquéreur de nombreuses céramiques, parmi lesquelles plusieurs envois de la Manufacture nationale de Sèvres. Jusqu’à maintenant, le musée n’a cessé de suivre cette orientation : une grande diversité de travaux jalonne aujourd’hui les espaces d’exposition temporaire comme ceux dédiés aux collections permanentes, à l’instar des pièces d’art contemporain signées Marc Alberghina, à qui une exposition est aussi consacrée.
Odette Lepeltier, Maquette publicitaire pour le magasin Casino, 1939, gouache sur carton, collection particulière
© La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent, Roubaix
Organisé selon un déroulement chronologique, le parcours retrace la richesse de la carrière d’Odette Lepeltier, de sa formation préliminaire à son travail d'affichiste publicitaire pour les vitrines des Grands Magasins, tels que le Printemps ou les Galeries Lafayette. La scénographie, remarquable pour son originalité, se fait le reflet de l’univers haut en couleur de l'artiste. Le visiteur est convié à déambuler dans des espaces aux murs tour à tour bleus, jaunes, verts, ou roses, qui font écho à la polychromie des dessins, des affiches et des céramiques.
Odette Lepeltier, Maternité, 1957, terre cuite peinte et partiellement émaillée, dépôt du Centre national des arts plastiques / Fonds national d’art contemporain (FNAC 1042) en 2020, Roubaix, La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent
© Eléa Dargelos
Outre cette mise en abyme colorée, la mise en regard des objets permet au visiteur d’appréhender en un coup d’œil la méthode et les processus de création de l’artiste. On comprend rapidement qu’Odette Lepeltier se plaît à fonctionner sur le mode de la déclinaison des motifs et la répétition des formes. L’agencement et le design des salles mettent aussi en évidence les thèmes de prédilection de l’artiste, avec une prédominance pour les sujets ayant trait à l’intime (à la famille, au corps de la femme et sa représentation en harmonie avec la nature) et les thèmes religieux.
De gauche à droite : Odette Lepeltier, Profil de Cécile, 1978, médaillon, céramique émaillée, collection particulière ; Profil d'enfant (Pierre ?), année 1870, assiette, céramique émaillée, Paris, collection particulière
© Eléa Dargelos
Malgré la place qu’elle a occupée dans le paysage artistique des arts appliqués de la France d’après-guerre, la figure d’Odette Lepeltier est restée dans l’ombre et son travail n’a jamais fait l’objet d’une véritable étude depuis sa disparition en 2006. Avec cette exposition, le musée La Piscine de Roubaix entend faire (re)découvrir cette figure majeure de la céramique française et mettre en lumière le rôle qu’elle a joué dans le renouvellement de la discipline. Parce qu’elle est historique, l’exposition monographique Odette Lepeltier (1914-2006) : Forme et couleur mérite d’être vue.
Odette Lepeltier (1914-2006) : Forme et couleur
18 février - 21 mai 2023
La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent
23, rue de l'Espérance
59100 Roubaix
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