Par Célia De Saint Riquier
Un néophyte de la littérature s’interroge sans doute de la récurrence d’évènements liés à l’écrivain Marcel Proust depuis l’année 2019. Il faut reconnaitre que les amateurs de la Recherche et de son maître ont eu de quoi se mettre sous la dent. Célébration des 100 ans du prix Goncourt d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs, création de la pièce Le Côté de Guermantes par la Comédie Française, publication des Soixante-quinze feuillets en avril 2021, et maintenant une exposition ouverte depuis le 16 décembre au musée Carnavalet à Paris pour marquer les 150 ans de la naissance de l’écrivain. Marcel Proust, un roman parisien tente d’emmener les visiteurs au cœur même de la vie et de l’œuvre de l’auteur, à travers les dédales de la capitale, ses grands boulevards et ses percées Haussmanniennes. Hommage au Paris du début du XXe siècle, mais où les connaisseurs du roman retrouvent facilement des repères, cette nouvelle exposition du musée Carnavalet donne envie de se plonger (ou se replonger) dans ce qui a été pour Marcel Proust, l’œuvre de sa vie.
L’exposition s’organise en deux parties distinctes. Nous suivons d’abord le Paris de l'auteur, le Paris de sa vie qui commence en 1871 dans le 16e arrondissement. Nous suivons de découvertes en découvertes, d’appartements en appartements. Nous suivons sa formation, son ouverture aux mondanités jusqu’à l’enfermement dans sa chambre rue Hamelin pour des raisons de santé. La chambre de Marcel a ainsi été reconstituée pour redonner une vision de cette intimité à huis clos de l’auteur avec son œuvre. C’est dans ce même appartement qu’il dit à Céleste Albaret, sa domestique, à l’automne 1922 : « C’est une grande nouvelle. Cette nuit, j’ai mis le mot “fin”. […] Maintenant, je peux mourir. ». Il s’éteint quelques mois plus tard, le 18 novembre 1922, sans avoir fini les corrections des épreuves des dernières parties de son œuvre.
La seconde partie du parcours est plus fixée sur la Recherche du temps perdu. Nous entrons dans les tomes de façon chronologique, avec l’amour de Swann du premier roman, puis la rencontre avec Albertine. L’approche est aussi thématique, relevant les topoï communs entre les livres, comme les promenades au Bois de Boulogne ou aux Champs-Elysées. Nous observons la progressive focalisation de plus en plus intimiste et resserrée de la narration dans la ville, pour finir, comme la vie de son auteur, dans l’intimité des appartements du héros.
L’une des premières qualités à reconnaitre à cette exposition est son équilibre entre le roman et la capitale. Certes, le musée Carnavalet est le musée de Paris, il est donc relativement logique que la ville prenne une place assez imposante dans l’exposition. Mais Proust dispose souvent d’un statut particulier, pour lequel ses amateurs ont aussi parfois tendance à ne pas vouloir réduire son œuvre, dont il est cependant impossible de laisser un aperçu tangible de la richesse. Cartographier Proust, c’est évidemment couper le roman, passer sous silence des aspects qui peuvent sembler les plus importants de la Recherche. L’exposition n’est pas une exposition sur Proust, ni une exposition sur Paris, mais bien une recherche sur le Paris de Proust, la ville de son temps, de son roman. En cela donc, il faut saluer le commissariat de l’exposition pour cette réussite.
Un certain effort a de même été entrepris pour emporter le public peu friand d’A la recherche du temps perdu dans l’univers du roman. L’ordre de l’exposition, qui débute avec la vie de Proust permet une véritable mise en parallèle avec les lieux de son œuvre et vient aussi associer les personnages du roman en un lieu, donc une stature, un rang qui permet de mieux les appréhender. L’exposition se veut en effet assez ouverte au grand public, ce qui peut en contrepartie faire regretter aux connaisseurs un potentiel manque de découvertes et de surprises. Cela étant dit, l’énorme travail de cartographie réalisé à l’occasion de l’exposition laisse admiratif.
Un aspect à la fois inévitable mais un peu dommageable est, de plus, le choix des œuvres exposées choisies comme prétextes à donner « une certaine vision de ». Le contexte de la bonne société en est parfaitement représenté, mais un certain écart sépare les œuvres réellement ancrées dans l’histoire proustienne des œuvres utilisées pour l’ambiance de la capitale au début du XXème siècle qu’elles présentent. Un grand travail de cartel détaillé est tout de même à souligner pour tenter de pallier cette idée d’interchangeabilité des œuvres.
A l’inverse, le visiteur sera ému de se retrouver face au fameux Portrait de Marcel Proust peint par Jacques-Emile Blanche, conservé au musée d’Orsay mais presque jamais exposé, ainsi que face à des photographies, manuscrits et images d’archives qui permettent de se rapprocher de l’auteur et du narrateur de l’œuvre.
Enfin, il est très agréable d’entendre au sein de l’exposition les voix des acteurs de la Comédie Française lisant Proust, qui rappellent la grande série de lecture de la Recherche démarrée à la suite de la crise de la Covid-19 d’une la qualité si précieuse.
En conclusion, nous pouvons affirmer qu’il y a de quoi apprécier cette nouvelle exposition du musée Carnavalet, et ce pour les proustiens comme pour les non-proustiens. Il n’est jamais trop tard pour se plonger dans la Recherche, et Marcel Proust, un roman parisien est susceptible de faire naitre une certaine curiosité pour ce roman si ancré dans la capitale. Si les amateurs peuvent se sentir un peu lésés en découvertes, chacun appréciera l’effort, par la scénographie et le contenu, de tenter de plonger les visiteurs dans l’espace, dans l’ambiance du Paris du roman et de la vie de son auteur. Les proustiens n’ont de toute façon pas fini d’être comblés, l’année 2022 marquant cette fois les 100 ans de son décès, ce qui donna lieux à l’annonce de plusieurs autres évènements, notamment une exposition au musée d’art et d’histoire du Judaïsme prévue pour avril, ainsi qu’une exposition à la Bibliothèque nationale de France planifiée pour octobre.
Marcel Proust, un roman parisien
Du 16 décembre 2021 - 10 avril 2022,
musée Carnavalet - Histoire de Paris
Commissariat général : Valérie Guillaume, directrice du musée Carnavalet - Histoire de Paris
Commissariat scientifique : Anne-Laure Sol, conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département des Peintures et Vitraux, musée Carnavalet - Histoire de Paris Comité scientifique : Jérôme Bastianelli, président de la société des Amis de Marcel Proust
Luc Fraisse, professeur, université de Strasbourg et membre de l’Institut universitaire de France
Jean-Marc Quaranta, maître de conférences, CIELAM – InCIAM, université d’Aix-Marseille
Jean-Yves Tadié, professeur émérite, université Paris Sorbonne
Alice Thomine-Berrada, conservatrice en charge des peintures, sculptures et objets, École nationale supérieure des beaux-arts
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