Etude de nu au manteau (1929)
La poitrine haute et ronde, le bras athlétique et la cuisse galbée sont autant de critères symptomatiques dans les nus de Marcel Gromaire. D’un fond au tracé rigoureusement construit et aux couleurs terreuses se détache une femme, dont le lourd manteau posé sur les épaules dévoile une anatomie vigoureuse. Le canon très sculptural de ce corps habite l’univers du peintre dont les portraits, d’intimes ou d’anonymes, jalonnent la carrière. La coupe garçonne, rebelle et sphérique, se prolonge dans le col arrondi du manteau. La fourrure blanche opère un contraste saisissant avec la chevelure ébène et la noirceur de l’habit, donnant à la nudité de ce corps puissant toute sa force expressive. La stylisation des formes et l’aspect un peu raide de ces silhouettes archaïsantes ne sont pas sans rappeler les beautés de Tamara de Lempicka ou de Jean Dupas dans une veine Art déco.
Le style unique de Marcel Gromaire allie ainsi le goût de la construction géométrique et une certaine sensualité, qui transparaît dans les poses lascives, parfois contorsionnées de ses modèles, et dans le dessin très cerné des figures. Les nus de Gromaire trônent en véritables allégories de beauté, une beauté idéale oxymorique, entre dureté et fluidité, chantée par Baudelaire un siècle auparavant dans son poème "À une Passante" : « Agile et noble, avec sa jambe de statue […] / Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan / La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. »
Né à Noyelles-sur-Sambre dans le département du Nord, en 1892, Marcel Gromaire est élevé par sa grand-mère, le peintre naïf Reine Mary-Bisiaux. Ses études secondaires le conduisent à Douai, dans le sud de la Flandre romane, dont le souvenir des paysages peuplera souvent ses peintures. Les études juridiques à Paris seront bientôt remplacées par la pratique picturale : « Le droit ça va bien ; maintenant la peinture ! ».
À seulement dix-neuf ans, encouragé par son ami Henri Matisse, Marcel Gromaire expose plusieurs toiles au Salon des Indépendants, affirmant déjà la singularité de son œuvre.
Le premier conflit mondial, durant lequel il est blessé, laissera dans son art les traces d’un cauchemar. Le traumatisme enfantera bien des années plus tard La Guerre, probablement son œuvre la plus célèbre. Les silhouettes mécaniques de ses soldats-robots, terrassés par l’ennui d’attendre le prochain tour de garde, sont comme des peintures sculptées in memoriam.
Avec Jean Lurçat, grand rénovateur de l’art de la tapisserie au XXe siècle, il adhère au parti communiste français et débat dans les controverses de la « querelle du réalisme » en 1937. Ses convictions politiques se ressentiront dans ses tableaux tout au long de sa carrière. Marcel Gromaire se fait le défenseur de la justice. Il dépeint le mal du monde moderne, des visages cachés dans l’ombre dont l’anonymat englobe toute une tranche de la société. Il offre aux gens de peu, paysans de sa terre natale et ouvriers, la noblesse du grand format de la peinture d’histoire, comme l’avaient initié Jean-François Millet ou Gustave Courbet auparavant.
« Un tableau est d’abord un don du cœur, un transfert de forces vives. » Marcel Gromaire
Deuxième étape d’une ambitieuse exposition monographique itinérante consacrée à Marcel Gromaire, le musée Paul Valéry de Sète présente jusqu’au 23 février 2020 un parcours thématique offrant une vision globale sur la variété des recherches de l’artiste tout au long de sa carrière. Après un premier passage au musée Eugène Boudin d’Honfleur, les tableaux du maître quitteront les cimaises de l’île singulière de Paul Valéry et de Georges Brassens pour se rendre à la Piscine de Roubaix (musée d’art et d’industrie André Diligent) du 14 mars au 31 mai 2020. Les visiteurs pourront y admirer les plus grands chefs-d’œuvre de l’artiste ainsi que quelques pépites moins connues et inédites. Des origines de l’artiste au cauchemar de la guerre, en passant par ses nombreux portraits (de famille, d’intimes, d’anonymes), ses nus, ses hommages au prolétariat, ses paysages urbains, l’œuvre de Marcel Gromaire le définit comme un peintre de la vie moderne dont les ambitions ont conduit à la définition d’un style singulier, sculptural et généreux, à l’écart de la révolution cubiste ou abstraite.
Margaux Granier-Weber
Musée Eugène Boudin
HONFLEUR
7 sep. – 25 nov. 2019
Musée Paul Valéry
SÈTE
14 déc. 2019 – 23 fév. 2020
La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie André Diligent
ROUBAIX
14 mars – 31 mai 2020
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