Une grande fête. Voilà comme l’on peut décrire Lille 3000. Durant près de cinq mois, ce sont des dizaines d’événements et expositions qui agiteront la capitale des Flandres, dans une vitalité qu’il est bon de retrouver après les annulations liées à la Covid-19.
Depuis 2004 et la nomination de Lille comme Capitale Européenne de la Culture, cet événement a durablement changé le dynamisme culturel de la ville. Après Bombaysers de Lille (2006), Europe XXL (2009), Fantastic (2012), Renaissance (2015) et Eldorado (2019), cette 6ème édition thématique se penche sur les liens qui unissent l’Homme aux vivants. Le titre est simple et réveillera chez quelques-uns des souvenirs de lecture, Utopia. La toile de fond est aisément identifiable : cette édition place l'environnement au centre.
Coupe-File Art était présent au week-end inaugural et vous propose un parcours dans les artères lilloises en quatre installations.
Mat Collishaw, Albion. 2017, Collection de l'artiste / ©Nicolas Bousser
Novacène à la Gare Saint-Sauveur
Premier arrêt boulevard Jean-Baptiste Lebas, pour une exposition collégiale rassemblant près d’une quinzaine de plasticiens. Cet événement a été conçu d’après le dernier ouvrage de l’environnementaliste et scientifique James Lovelock, dans lequel il imagine une nouvelle ère, le Novacène, qui prendrait la suite de notre époque marquée par les bouleversements environnementaux causés par l’activité humaine. Aux antipodes d’un négativisme implacable, c’est une vision d’espoir qui se distille au fil des installations, prophétisant une relation positive entre l’humain et l’environnement, favorisée par la technologie.
Fabien Léaustic, La Terre est-elle ronde ? 2019, Boue de forage en mouvement / ©Nicolas Bousser
Si les installations sont assez inégales, les commissaires Alice Audouin et Jean-Max Colard ont réussi le pari de réunir un écosystème d’œuvres cohérentes mises au service du propos. On relèvera La Terre est-elle ronde ? de Fabien Léaustic (2019), la vision dérangeante de Zheng Bo, Pteridophilia (2016) mais aussi, et cela était très attendu, le travail de Bianca Bondi.
Bianca Bondi, Not a place but a feeling, 2022 ©Aurélien Mélan
Le Serpent cosmique au musée de l’Hospice Comtesse
Édifice d’importance, tant par son histoire que par son architecture, mais bien souvent oublié des circuits touristiques, le musée de l’Hospice Comtesse accueille une installation foisonnante, protéiforme et multi sensorielle. Sous le commissariat de Fabrice Bousteau, ce sont plusieurs dizaines d’artistes qui côtoient les tableaux d’Arnould de Vuez dans les collections du musée. Deux références viennent nourrir le propos de cette exposition, dont la genèse est le livre de l’anthropologue Jeremy Narby, Le Serpent Cosmique, l’ADN et les origines du savoir écrit en 1995. De manière simplifiée, l’auteur défend l’idée que les chamans ont dans l’histoire un point commun : ils évoquent depuis l’origine deux serpents entrelacés, la double hélice de l’ADN… Edgard Morin, dans son ouvrage Sur l’esthétique, affirme quant à lui que les artistes créent dans un état « post-chamanique ».
Jean-François Fourtou, Nanitos, 2022 © maxime dufour photographies
Alors que lors des éditions précédentes les expositions se concentraient dans la chapelle de l’hospice, les organisateurs ont cette année choisi de disséminer des œuvres à l’échelle de l’édifice. Une très bonne initiative. Ainsi le visiteur tombera-t-il nez à nez avec l’ours à plumes de Paola Pivi (Have you seen me before ?) ou encore les Nanitos de Jean-François Fourtou lors de sa déambulation.
Paola Pivi, Have you seen me before, 2008 © maxime dufour photographies
Les Vivants au Tripostal
Lille 3000 invite cette année la Fondation Cartier pour l’art contemporain au Tripostal. Le quartier d’Euralille vibre donc lui-aussi au rythme de l’utopie. Au total, ce sont près de 250
œuvres de sa collection que la Fondation réunit dans l’édifice. Certains ne s’étonneront donc pas de retrouver des créations bien connues. La résultante de cette installation consiste en un dépassement de la frontière entre les humains et les non-humains afin d’embrasser une problématique plus large : la fragilité de ces non-humains, nos égaux au sein du monde des vivants. Artistes, réalisateurs, musiciens et scientifiques se succèdent sur les cimaises du Tripostal dans ce qui constitue un prolongement d’une série d’expositions débutée en 2003 avec Yanomami, l’esprit de la Forêt.
Tony Oursler, Mirror Maze (Dead Eyes Live), 2003 / ©Nicolas Bousser
Outre Fabrice Hyber, Artavazd Pelechian ou encore Tony Oursler, cette présentation est l’occasion de tisser des liens avec nouveaux artistes comme les brésiliens Bruno Novelli et Solange Pessoa, dont le travail n’est pas passé inaperçu.
Solange Pessoa / ©Luc Boegly
La Forêt magique au Palais des Beaux-Arts de Lille
Pour finir, retrouvons un soupçon d’art ancien. Le palais des Beaux-Arts de Lille a choisi de consacrer une exposition à la forêt et sa principale composante, l’arbre. Découpée en quatre sections – L’arbre qui cache la forêt, Le Bois sacré, La forêt hantée et la forêt enchantée, celle-ci explore la relation de l’homme avec ce lieu, entre fascination, mystère et symbolique. Mêlant art contemporain et art ancien donc, chaque section est accompagnée de nappes sonores composées par Bruno Letort à partir de bruits de la forêt. L’immersion est réussie.
Mentionnons la présence de beaux prêts consentis par diverses institutions, à commencer par le triptyque d’Auguste Morisot, Ombre – Lumière et Ténèbre du musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône (1910) ou encore Les lavandières de la nuit de Yan’ Dargent provenant du musée des Beaux-Arts de Quimper (1861). Les musées et théâtres romains de Lyon – Lugdunum ont quant à eux consenti le prêt d’une toile de Henri-Paul Motte, maintes fois photographiée dès l’ouverture de l’exposition, Les druides coupant le gui le sixième jour de la lune (vers 1900). Au registre des installations contemporaines, Mat Collishaw présente l’immersive Albion (2017), qui fait la couverture de cet article.
Henri-Paul Motte, Les druides coupant le gui le sixième jour de la lune. Vers 1900, Lugdunum - musée et théâtres romains, Lyon / ©Nicolas Bousser
Yan' Dargent, Les Lavandières de la nuit. 1861, musée des Beaux-Arts de Quimper / ©Nicolas Bousser
Le visiteur sera confronté à la création tout au long de son parcours dans les rues lilloises. Ainsi, dès l’arrivée en gare de Lille Flandres, il sera accueilli par Simone, monumentale installation aux formes organiques de Joana Vasconcelos conçue en 2019 pour le Bon Marché et par le peuple de mousse – Moss People – de Kim Simonsson sur la Rambla (rue Faidherbe). L’expérience se prolongera également dans les communes proches, notamment à Croix, où Nils Nova investit la Villa Cavrois avec son Rideau de verdure. Autant de raisons de se rendre à Lille avant le 2 octobre, pour savourer cette fièvre artistique qui s'empare de la ville.
Toutes les informations pratiques sont à retrouver sur le site de l'événement :
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