Considéré comme l'un des plus grands peintres du Grand Siècle français, Nicolas Poussin s'est illustré dans de nombreuses compositions savantes, empreintes du classicisme. Personnalité érudite transcrivant son savoir à la peinture, il offre à voir des œuvres qui peuvent sembler compliquées pour un œil non-initié. C'est notamment le cas de ses quatre saisons, ensemble de quatre tableaux conservés au Musée du Louvre dont le titre semble bien réducteur pour tout ce qu'ils évoquent en réalité. Décryptage d'un printemps, d'un été, d'un automne et d'un hiver aux significations qui divisent encore les historiens de l'art.
Entre 1660 et 1664, date à laquelle il peint ses Quatre Saisons, Nicolas Poussin est vieil homme. A l'aube de ses 70 ans, sa main tremble, et l'ombre de la mort commence doucement à planer. En témoigne un pinceau moins sûr, et des lignes moins nettes, qui caractérisaient pourtant l'oeuvre de l'auteur de l'enlèvement des sabines. Réalisé sur une commande du Duc de Richelieu (petit-neveu du très célèbre cardinal), cet ensemble représente l'aboutissement de la longue carrière de l'artiste.
Né en 1594 en Normandie, il commence à pratiquer très tôt le dessin, ce qui le conduit à se rendre à Paris en 1612 afin de s'y former. Grand voyageur, il se prend de passion pour l'Italie où il résidera de nombreuses années. C'est sans doute là qu'il développe un style empreint d'inspirations d'antiques et de la Renaissance florentine et romaine, qui le mèneront à se placer dans la lignée des peintres classiques. Avec ses compositions rigoureusement réfléchies et son goût pour la transcription des bonnes valeurs morales inspirées des textes bibliques et antiques, Nicolas Poussin est très apprécié. L'Eglise lui commande notamment, en 1628, les modèles pour le martyre de Saint Erasme qui orne la basilique Saint-Pierre de Rome. Il est rappelé en France en 1640 par le Cardinal de Richelieu et Louis XIII lui même, mais il retourne très rapidement à Rome, où il finira sa vie en 1665.
A la fin de sa vie, comme en témoignent ses Quatre Saisons, son dernier ensemble de peintures à l'huile, le paysage prend une place dominante dans ses compositions. Ainsi, les quatre tableaux présentent une nature luxuriante dans lesquelles prennent place des petites saynètes tirées de l'Ancien Testament. Mais Nicolas Poussin est un peintre intellectuel, qui aime à ajouter une dimension philosophique et morale à ses peintures ; ces toiles pourraient en fait être interprétées de diverses manières. En effet, elles représenteraient les saisons, des scènes bibliques mais également, pour certains experts, les éléments, les âges de la vie, les heures de la journée, le tout dans une synthèse du christianisme et du paganisme. En bref, nous sommes face à des tableaux extrêmement difficiles à saisir pour un quidam.
Le printemps ou le paradis terrestre
Poussin commence son cycle avec le printemps. Si l'on accepte la théorie parfois controversée des heures de la journée, cette peinture représenterait une scène se passant le matin.
On y voit deux personnages nus, un homme et une femme, cette dernière semblant pointer du doigt à son compagnon un fruit dans l'arbre au dessus d'eux ; il s'agit d'Adam et Eve, juste avant le péché originel qui les expulsera tous deux du Paradis. Malgré des couleurs chaudes et la lumière agréable qui s'en dégage, Poussin parvient à signifier le dramatisme de la catastrophe imminente à travers la figure de Dieu le Père qui, en haut à droite, semble fuir ce qui est sur le point de se passer. Ce serait également par ce biais que le peintre aurait associé cette œuvre à l'élément air, selon une ancienne tradition antique.
L'été ou Ruth et Booz
Ensuite vient l'été, avec une scène se passant peut-être à midi. On peut observer un paysage essentiellement constitué de champs de blé, dans lesquels travaillent des paysans, dont l'un, derrière l'arbre du premier plan, se désaltère ; Poussin signifie ainsi une forte chaleur, qui rappelle l'élément feu.
L'épisode biblique qui se déroule est fort peu connu ; tirée du chapitre 2 du livre de Ruth, elle raconte l'histoire d'une femme, Noémi, qui part s'installer avec son mari et ses deux fils au pays des Moabites. Ses deux fils se marient, mais ces derniers et leur père meurent quelques temps plus tard. Noémi, devenue veuve et âgée, décide de retourner dans son pays natal, Israël, avec l'une de ses belle-filles, Ruth. Vivant très pauvrement, elles décident de se mettre au service d'un lointain parent, Booz. Nicolas Poussin représente au premier plan le moment où Ruth supplie ce dernier de la laisser glaner dans ses champs. Il sera par la suite tellement impressionné par ce qu'elle fait pour sa belle-mère, qu'il décidera de l'épouser. Ils auront un enfant, Obed, ancêtre de David et donc du Christ.
L'automne ou la grappe de Canaan
L'automne présente un épisode se passant possiblement en fin d'après-midi. C'est encore une fois un sujet auquel peu de gens sont familiers.
Après avoir libéré le peuple hébreu et arrivé à la lisière de la Terre Promise, Moïse reçoit une vision de Dieu, qui lui demande d'envoyer des homme pour l'explorer. 12 hommes, un pour chaque tribu, y sont alors envoyés, afin d'observer différentes choses très précises : comment sont les villes ? Comment sont les habitants ? Sont-ils grands, petits, pacifistes ? La terre est-elle fertile ? Les explorateurs ont également pour mission de rapporter une grappe de fruits de leur expédition, et c'est ce que l'on voit ici, avec ces deux homme déterminés portant une grappe de raisin aux dimensions disproportionnées (ce n'est pas une fantaisie de Poussin, car cela est décrit dans les textes). L'artiste s'applique à représenter tout ce qui était demandé dans ce paragraphe de l'Ancien Testament. Il peint des villes en hauteur, prospères. Les trois petits personnages en arrière-plan, sans doute les habitants du pays, vaquent à leurs occupations et n'ont aucunement l'air menaçant. La terre, qui est également l'élément associé au tableau, a l'air plus que fertile, en témoigne ces arbres fruitiers ainsi que cette grande vallée verdoyante.
L'hiver ou le déluge
Dernière toile de l'ensemble, l'hiver présente une ambiance totalement différente des trois premiers. Scène se passant la nuit, Poussin nous livre ici une histoire lugubre, sombre, sous un ciel d'orage, placée sous l'élément eau. Nous sommes en plein dans l'épisode du déluge, où Dieu, voyant le mal qui ronge les hommes, décide de faire pleuvoir 40 jours et 40 nuits afin d'éliminer l'humanité. Seuls Noé, sa famille et des couples d'animaux sont sauvés sur son arche. Pourtant élément central de cette partie de la Bible, cette dernière semble de moindre importance pour Poussin, qui décide de la recaler à l'arrière-plan, à gauche de la composition, à peine perceptible.
Le peintre préfère se concentrer sur l'humanité en train de périr. Ainsi, on peut observer une série de personnages au sein d'une crique, en train d'essayer de se sauver comme ils le peuvent. Un homme se raccroche à une tête de cheval, tandis que d'autres tentent de s'entraider sur une barque. Détail touchant : cette mère, à droite, qui essaie de sauver son enfant en le mettant en hauteur, alors que l'on sait qu'à la fin du déluge, tout sera englouti. Au loin sont visibles des toits de maison déjà emportées par les flots.
Attention à l'interprétation de ce serpent, dans le coin inférieur gauche, qu'on aurait tendance à rattacher à la figure du mal ; il y en a en fait un second dans l'arbre le moins élevé de droite, et ils feraient plutôt référence à la destruction de la terre.
Ce dernier tableau, celui qui marqua le plus les esprits, est peut-être le testament d'un peintre qui se sait en fin de vie, voyant la mort approcher et attendant le Salut divin.
Raphaëlle Agimont
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