La naissance du cinéma d’animation est difficile à dater avec précision. Derrière une constellation d'événements marquants se cachent de véritables pionniers de l’art et de la technique. Parmi ces précurseurs, le français Émile Reynaud conçoit à partir de ses inventions un spectacle d'un genre nouveau. Les Pantomimes lumineuses, qui démontrent les possibilités du Théâtre optique, permettent de pressentir l'immense potentiel narratif de l'image en mouvement.
Le XIXe siècle est riche de multiples jouets optiques qui exploitent la persistance rétinienne, étudiée en 1824 par Peter Mark Roget à partir des travaux de Newton. Ainsi, dans les années 1820 à 1830, le thaumatrope et le phénakistiscope font de l'image en mouvement un objet de divertissement. C'est dans ce contexte que naît Émile Reynaud en 1844. Fils d'un horloger et d'une aquarelliste, il mêle sa connaissance de la mécanique à ses qualités artistiques pour concevoir le praxinoscope en 1876. Il utilise comme base le zootrope de William George Horner, qui se compose d'un tambour dans lequel une bande d'une douzaine d'images est insérée. Le tambour une fois mis en mouvement permet d'observer l'image s'animer à travers les fentes pratiquées tout autour de l'appareil. Émile Reynaud conserve le tambour et la bande interchangeable, mais améliore le dispositif à l'aide d'un prisme central composé de douze miroirs qui jouent le rôle d'un obturateur. Après avoir déposé le brevet du praxinoscope en 1877, l'inventeur continue de perfectionner sa création : le praxinoscope théâtre permet l'ajout d'un décor à une animation par le truchement d'une vitre réfléchissante, et le praxinoscope à projection permet d'émettre l'image vers un support par l'intermédiaire d'une lanterne magique (un dispositif de projection inventé au XVIIe siècle).
Fort de ces innovations, Émile Reynaud commence à souffrir des limites imposées par le format du praxinoscope. Les animations obtenues, cycliques et répétitives, dépassaient à peine une seconde de durée. Afin d'y remédier, Émile Reynaud établit un système nouveau : le Théâtre optique, qu'il fait breveter en 1888. Cette machine emploie une bande souple tendue entre deux bobines à manivelle. Comportant 300 à 700 images, ces bandes permettent d'augmenter substantiellement la durée des œuvres. Les dessins successifs sont réalisés sur des carrés de gélatine d'environ 6 centimètres de côté. Les personnages sont peints à l'encre transparente afin de laisser passer la lumière, tandis que le reste du carré est opacifié à l'encre noire. L'image ainsi obtenue est enfermée dans des cadres de diapositives, et reliée aux autres par des lamelles perforées qui entraînent le mécanisme d'un cylindre à miroirs. L'image est enfin projetée à l'aide d'un système de réverbération et d'une lanterne magique. Une deuxième lanterne magique projette quant à elle le décor. Plus de vingt ans avant l'invention du cellulo et grâce à l'expérience acquise au cours de l'élaboration de son praxinoscope théâtre, Émile Reynaud réussit à dissocier le décor et le personnage en mouvement.
Il conçoit pour cette machine des courts-métrages de plusieurs centaines de dessins : les Pantomimes lumineuses. Présentées pour la première fois au musée Grévin le 28 octobre 1892, elles connaissent aussitôt un certain succès. Etant donné que c'est lui qui contrôle les bobines, l'opérateur a la mainmise sur le rythme de la séance. Les Pantomimes lumineuses sont ainsi des spectacles évolutifs, qui s'adaptent aux réactions du public : l'artiste peut accélérer, ralentir, faire un arrêt sur image et même revenir en arrière. Tenu par son contrat avec le musée Grévin de produire un nouveau spectacle chaque année, Émile Reynaud doit également opérer lui même son théâtre optique et veiller à son bon fonctionnement. Mais son succès est de courte durée : il est vite rattrapé par d'autres technologies. A partir de la présentation du cinématographe par les frères Lumières en 1895, les Pantomimes lumineuses perdent peu à peu leur attrait, avant d'être arrêtées en 1900. Émile Reynaud, très marqué par cette chute d'intérêt, vend sa machine et jette ses court-métrages dans la Seine. Seules deux de ses Pantomimes lumineuses subsistent : Pauvre Pierrot et Autour d'une Cabine.
Pauvre Pierrot, créé en 1891 et projeté jusqu'en 1892, met en scène des personnages de la commedia dell'arte. Réalisé sur une bobine de 36 mètres de long et comprenant 500 vignettes, le court-métrage narre les aventures d'Arlequin jouant des tours à Pierrot afin de l'empêcher de faire la cour à Colombine. Le thème de l'amoureux éconduit plaît particulièrement à Émile Reynaud, qui lui consacre un autre court-métrage en 1892 : Un bon bock. L'expérience visuelle est aussi sonore : le musicien Gaston Paulin accompagne l'opérateur au piano. Émile Reynaud réussit même à mettre en place un effet sonore électrique : en plaçant une lamelle d'argent sur l'image où Arlequin frappe Pierrot, il met au point un frappeur automatique synchronisé. En 1893, Émile Reynaud réalise Autour d'une cabine sur une bobine de 45 mètres, comprenant 636 vignettes. Plusieurs saynètes comiques se succèdent, mettant en scène un couple d'élégants vacanciers faisant face à un importun. La mode des bains de mer se ressent dans ce court-métrage, dont le décor ne va pas sans rappeler les falaises d'Étretat, l'une des stations balnéaires les plus courues de la seconde moitié du XIXe siècle.
Le Théâtre optique d'Émile Reynaud a beau être un succès éphémère, il demeure révolutionnaire. Dans un contexte d'exploration de l'image animée (elles sont contemporaines du kinétoscope d'Edison), les projections du Théâtre optique donnent à ce médium récent un véritable souffle narratif et préfigurent l'expérience collective d'une œuvre projetée. Le spectacle des Pantomimes lumineuses d'Émile Reynaud est inscrit depuis 2015 au Registre Mémoire du Monde de l'UNESCO.