Par Margot Lecocq
Érigé à la fin des années 1870 pour accueillir les deux expositions universelles de Melbourne, d'abord en 1880-1881 puis en 1888-1889, le Royal Exhibition Building bénéficie depuis 2018 d’une importante campagne de restauration dont ont déjà profité sa façade sud, ainsi que la structure de son imposant dôme. À l’occasion du 20e anniversaire de son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, une nouvelle restauration est lancée pour rendre aux peintures du dôme tout leur éclat d’origine. Bien qu’étant l’unique hall d’une exposition universelle encore conservé de nos jours, le bâtiment reste largement méconnu par le public européen.
« L’Australie, ayant été représentée dans toutes les expositions, depuis leur début en 1851, et le progrès de son industrie et ses rapports commerciaux, ses exportations et ses importations, ayant atteint un chiffre considérable, le temps est arrivé où elle peut demander aux grandes nations industrielles, d’envoyer leurs meilleurs produits à un pays qui peut non seulement leur offrir de grands débouchés, mais devenir leur concurrent loyal. »
Fascicule rédigé par George Collins Levey, secrétaire de l’exposition universelle de Melbourne, Londres, [s. d.], Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales de France, série F/12, boîte F/12/5022, dossier « Rapports administratifs & Documents »
Le succès de l’exposition universelle de Sydney en 1879-1880 — première organisée en Australie — et celui de son homologue accueillie par Paris en 1878 donnent l’impulsion nécessaire au gouvernement du Victoria pour organiser un événement de cette ampleur. Soucieux d’accroître la prospérité des terres du sud-est du continent, la tenue d’une exposition universelle apparaissait comme la solution idéale. La ville de Melbourne — dont la fondation ne remontait qu’à une cinquantaine d’années en arrière, entre 1835 et 1847 — était soucieuse de montrer son expansion rapide vis-à-vis des autres villes australiennes et notamment de Sydney. Le 14 novembre 1878, un premier décret pour l’organisation de l’exposition était adopté et l’inauguration eut lieu le 1er octobre 1880 en l’honneur de la reine Victoria. Intitulée “The International Exhibition of Arts, Manufactures and Agricultural and Industrial Products of all nations”, elle regroupait une vingtaine de nations.
C’est au nord de Melbourne, sur une parcelle dénudée que l’aménagement de somptueux jardins fut effectué pour accueillir l’imposant palais d’exposition. Les Carlton Gardens — dont la disposition actuelle n’a été que peu modifiée — adoptaient un plan simple conçu par les architectes Joseph Reed (1823-1890) et Frederick Barnes (1824-1884), également en charge de la conception du bâtiment. La partie sud des jardins, à la parfaite symétrie axiale, était destinée à accueillir le public et offrait une vue idéale sur le Royal Exhibition Building. Le tracé de 1880 comprenait des massifs arborés, des parterres de pelouse ainsi que deux lacs à l’usage tant décoratif qu’utilitaire — ils servaient notamment de réserve d’eau d’urgence en cas d’incendie. Placé au bout de l’avenue centrale des jardins, le Royal Exhibition Building est aujourd’hui précédé de la fontaine de Westgarth conçue pour l’exposition universelle de 1888-1889 et déplacée de son emplacement d’origine. Depuis l’an 2000, la partie centrale des jardins accueille quant à elle le Melbourne Museum et ses collections d’histoire naturelle, tandis que la partie nord a été complétée d’un nouveau parc au tracé symétrique agrémenté d’équipements sportifs.
Inspiré par le célébrissime Crystal Palace de 1851 conçu par l’architecte Joseph Paxton (1803-1865), le Royal Exhibition Building a par la suite accueilli l’exposition universelle de 1888-1889 marquant le centenaire de la fondation de la ville, ainsi que le tout premier Parlement de l’Australie fédérée, réuni le 1er mai 1901.
Architecte australien, Joseph Reed remporte en janvier 1854 le concours lancé par Melbourne pour la nouvelle bibliothèque municipale. En 1862, il s’associe à l’architecte Frederick Barnes et fonde un cabinet. Son voyage de 1863 en Europe, notamment en Italie, avait fortement influencé sa manière de penser et de concevoir l’architecture. Aujourd’hui considéré comme l’un des architectes australiens les plus éminents de l’époque victorienne, il propose dès 1878 une esthétique éclectique et classicisante. En mai 1878, son cabinet remporte le concours d’architecture lancé par la ville de Melbourne. Le chantier est confié à l’entrepreneur David Mitchell (1829-1916) — à qui l’on doit la reconstruction de la cathédrale Saint Patrick de Melbourne en 1850 —, et prévoit une durée de deux ans de travaux pour un budget d’environ 61 407 livres avec une superficie de 22 635 mètres carrés. La première pierre est posée le 19 février 1879 par le gouverneur de la colonie du Victoria. Cependant, des inquiétudes s’élèvent dès 1879 quant à l’exiguïté de l’espace destiné aux exposants. Remanié de toute urgence, le projet se complexifie et atteint finalement 84 298 mètres carrés de surface d’exposition (soit près de quatre fois plus que les projections d’origine). L’ensemble du complexe comprenait le hall central ainsi que deux ailes allouées à l’exposition des machines et aux produits relevant de l’industrie agricole. Afin de compléter l’intérieur de ce plan en U, « l’avenue des Nations » desservait de part et d’autre les espaces réservés à l’ensemble des pays participants.
Le plan cruciforme du hall central s’inscrit dans la lignée du bâtiment imaginé en 1879 par l’architecte James Barnet (1827-1904) pour l’exposition universelle de Sydney (1879-1880). Avec sa nef centrale de 152 mètres de long, un court transept et ses quatre portails monumentaux, l’édifice de Melbourne se démarquait surtout par son dôme de plan octogonal s’élevant à soixante-six mètres de haut et inspiré du Duomo florentin de Brunelleschi. Habillé de lunettes en oculus et de fenêtres hautes, le dôme était desservi par un escalier permettant aux visiteurs d’avoir une vue panoramique sur la ville de Melbourne. Les motifs architecturaux employés par Reed et Barnes faisaient référence à l’art grec, à l’art romain, à l’architecture gothique et byzantine, et à la Renaissance. Depuis les années 2000, l’architecture éclectique du hall central du Royal Exhibition Building a été rapprochée du « Rundbogenstil allemand ». Théorisée en Allemagne dans les années 1928-1930, cette orientation architecturale visait à unir les principes de la beauté classique grecque aux qualités spirituelles de l’époque médiévale et était supposée tendre vers la perfection.
Le Royal Exhibition Building était orné d’un décor peint monumental non figuratif réalisé par un peintre méconnu du nom de John Mater pour la somme de 4 700 livres. La tâche consistait à souligner l'architecture de l'édifice, mais elle s'avéra si vaste que, bien qu’entamé dès janvier 1880, il ne fallut pas moins d’une trentaine de peintres pour achever le travail. Le projet prévoyait que la nef centrale et le transept soient décorés de frises de motifs végétaux et floraux rouges, verts et blancs, le tout sur un fond gris-bleu. La présence des figures allégoriques du commerce, des arts et des sciences, réalisées par John Gregory Crace (1809-1889) — peintre et décorateur britannique travaillant au pochoir — est également attestée pour la partie basse du dôme. La coupole, quant à elle, représentait un ciel divin, étoilé et nuageux, accompagné de la mention « Combien tes œuvres sont multiples, ô Seigneur ». Les quatre arcs délimitant les espaces sous le dôme étaient ornés de représentations allégoriques des valeurs universelles de l’exposition ainsi que de figures représentant la richesse et la diversité des civilisations. Il ne reste aujourd’hui que de rares fragments de ce décor remanié dès 1888. Afin de parachever le tout, un orgue gigantesque avait été placé à l’extrémité du bras du transept ouest et permettait d’animer les cérémonies d’ouverture et de clôture, mais aussi les concerts et autres divertissements musicaux. En 1880, c’est finalement un montant de 132 950 livres sterling qui a fut dépensé pour l’érection du Royal Exhibition Building et un montant de 113 415 livres pour les annexes temporaires, l’orgue, les jardins et les décorations.
En 1888, Melbourne célébrait son jubilé et accueillait sa deuxième exposition universelle « The Centennial International Exhibition » au sein du Royal Exhibition Building qui bénéficia pour l’occasion de plusieurs remaniements. En effet, les annexes et dépendances construites en 1879-1880 pour la première exposition de Melbourne n’avaient pas été conservées, puisqu’elles faisaient partie d’un projet éphémère — à la différence du hall central qui constituait la partie pérenne du Royal Exhibition Building. La surface à couvrir pour 1888 était de quinze hectares sur les côtés nord du bâtiment principal, pour un budget total d’environ 67 500 livres pour l’ensemble des nouvelles annexes. Les architectes participant au concours avaient également reçu pour consigne d’anticiper la desserte de lignes de tramways afin d’acheminer les spectateurs jusqu’aux Carlton Gardens. Trente-trois projets furent ainsi soumis à la commission qui n’en retint que quatre le 27 mai 1887. La deuxième place avait été attribuée au nouveau cabinet d’architectes fondé par Joseph Reed. À son grand regret, c’est finalement le projet du Britannique Georges Raymond Johnson (1840-1898) qui fut retenu en 1887, et la maîtrise d’œuvre fut attribuée à l’entrepreneur James Moore pour une somme de 58 841 livres. Une gravure présentée dans le journal The Australasian témoigne des agrandissements effectués, et l'on sait notamment que « l’avenue des Nations » avait été élargie et mesurait désormais 335 mètres de long, soit presque un tiers de plus qu’en 1880-1881.
Désireux de faire du Royal Exhibition Building un symbole de cet événement historique, les membres de la commission avaient pris la décision de repenser les décors peints de 1880. Ils lancèrent le 7 janvier 1888 un concours pour la décoration du hall principal et celle du dôme. Les candidats avaient trois semaines pour soumettre leurs projets et ne devaient pas dépasser le budget de 3 500 livres. Les décorateurs américains John Clay Beeler et Davis furent retenus et désignés pour décorer les nouvelles annexes. Le programme décoratif est conçu comme une véritable ode à l’Australie, à sa prospérité et comme un hommage aux nations participantes. À l’ouverture de l’exposition, les visiteurs pouvaient ainsi admirer un faux plafond voûté réalisé au-dessus de l’orchestre et de l’orgue, peint à l’imitation d’un plafond à caissons, des allégories des différentes nations, des valeurs humanistes et des saisons, des inscriptions portant les noms des principales villes du monde, des têtes en bronze représentant les plus fameux explorateurs australiens, ainsi qu’une allégorie de la colonie du Victoria.
Devenu une véritable icône du paysage urbain de Melbourne, le Royal Exhibition Building a également abrité la galerie des beaux-arts à l’occasion des deux expositions universelles de cette fin de XIXe siècle. La section française y était largement représentée et s’est tout particulièrement illustrée dans les genres du paysage et de la scène de genre. De nos jours, l’édifice finalement assez peu remanié au fil du temps n’a pas rompu avec son histoire, puisqu’il accueille toujours des manifestations culturelles. C'est donc avec beaucoup d'attentes que les amoureux du Royal Exhibition Building guettent les résultats de cette nouvelle campagne de restauration, garante de la perennité de ce bijou à l'histoire séculaire. Malheureusement, la faible médiatisation du projet a pour conséquence une relative absence de clichés photographiques documentant l'ensemble de la restauration, dont on ne peut qu'espérer une plus large diffusion à l'avenir.
Bibliographie :
Official Record containing Introduction, History of exhibition, Description of exhibition and exhibits, Official awards of commissioners and Catalogue of exhibits, cat., Melbourne, publié sous l’autorité des commissaires généraux, Mason, Firth & M’Cutcheon printers, 1882.
Official Record of the Centennial International Exhibition, Melbourne, 1888-1889, containing a sketch of the industrial and economic progress of the Australasian colonies during the first century of their existence, and of the exhibition held in Melbourne, Victoria, to commemorate the close of that period, also records of the manner in which the work of the different sections of the exhibition was carried out, the official awards of the executive commissioners, the catalogue of exhibits, together with sundry illustrations etc, cat., Melbourne, publié sous l’autorité des commissaires généraux, Sands and McDougall Limited Printers, 1890.
Royal Exhibition & Carlton Gardens, World Heritage Management Plan, Volume 1 : “Rapport principal”, Sydney, Lovell Chen, Juin 2008.
Nomination of Royal Exhibition Building and Carlton Gardens, Melbourne, Inscription on the World Heritage List, “Chapitre 3”, Government of Australia, Environment Australia, 2002.
Archives :
Archives du Consulat français à Melbourne : - Cotes F/12/5020 : documents généraux - Cotes F/12/5021 : organisation matérielle
Archives de la bibliothèque du BIE (Bureau International des expositions), Paris : Cote B23-AI-E4 2977 : Nomination of Royal Exhibition Building and Carlton Gardens, Melbourne : Identification of the property, justification for inscription, description, management, factors affecting the property, monitoring, documentation, signature, by the Government of Australia for the inscription on the World Heritage List, Envrionment Australia 2002, 88 pages.
Site internet du Royal Exhibition Building : https://museumsvictoria.com.au/reb/
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