Ou comment un simple portrait nous parle de son époque comme un livre ouvert
Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803)
vers 1787
Huile sur toile, 80,5 x 63,5 cm
Musée Cognacq-Jay
Une portraitiste de renom...
Adélaïde Labile-Guiard fait partie de ces femmes qui ont forcé la porte d’entrée du panthéon des personnages influents de son temps. Née le 11 avril 1749 à Paris dans une famille bourgeoise, elle développe relativement tôt un talent pour la peinture. Une dame du XVIIIe siècle n’a pas le droit de suivre une formation dans un atelier d’artiste, et pourtant Adélaïde entre en 1765 sous la tutelle de François-Elie Vincent, membre de l’Académie de Saint Luc, qui l’initie à l’art de la peinture à l’huile, de la miniature et surtout du portrait. C’est ce dernier qui l’aide à entrer dans cette même académie en 1769, pendant qu’elle fait l’apprentissage du pastel chez Quentin de la Tour.
Peintre professionnelle reconnue et polyvalente à l’instar d’Elisabeth Vigée le Brun, elle est souvent comparée à cette dernière. Toutes deux rejoignent d’ailleurs en même temps l’Académie Royale de peinture et de sculpture en 1783 (ce qui sera vivement critiqué à travers pamphlets en tout genre, quelle idée saugrenue que d’accepter des femmes !). Dès lors, les commandes prestigieuses s’accumulent ; Adélaïde Labille-Guiard peint notamment les portraits de Madame Elisabeth, ou encore des filles de Louis XV.
...et une aristocrate à la mode
Ici, ce serait Philiberte-Orléans Perrin de Cypierre, Comtesse de Maussion, qui aurait passé commande auprès de Labille-Guiard pour capturer ses traits. Nous ne connaissons pas grand chose de cette aristocrate, ni de l’historiographie de cette peinture. Pourtant, l’artiste nous livre ici un témoignage virtuose de la femme de son époque.
La comtesse est peinte en buste, détachée d’un fond sombre qui met sa peau pâle et ses atours en valeur. Pour se faire représenter, elle a pris grand soin d’assortir sa tenue, avec ces rappels de doré que l’on retrouve dans chaque élément. Ainsi, elle arbore une perruque volumineuse poudrée surmontée d’un voile brodé précieux, coiffure en vogue depuis les années 1770, ainsi qu’une parure de chaines.
Mais ce qui est le plus intéressant est cette robe, apparue récemment, que l’on nomme chemise à la reine, robe en chemise, "en gaulle" ou encore "à la créole". Son origine proviendrait des femmes des colons qui portaient les mêmes vêtements que les femmes dominicaines. Faite d’une seule pièce et à la taille rehaussée par un grand ruban, elle a la particularité de se porter sans les dessous contraignants que nécessitent la robe à la française. En effet, le XVIIIe siècle voit les critiques sur ces dessous affluer, et on prédomine un retour à la simplicité, à la nature. Conséquence directe de ces lectures qui font grand écho à la cour, cette nouvelle mode ne manque pas de faire scandale quand le salon de 1783 présente un portrait de Marie-Antoinette dit “en gaulle” par Elisabeth Vigée le Brun (ci-dessous), qui sera forcée de repeindre la souveraine avec une robe plus adéquate à son rang. Cela n’empêche pas la chemise à la reine, dont le nom vient de ce tableau, d’être par la suite adoptée par toutes les dames de l’aristocratie jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
La femme noble des années 1780 s’affranchit donc des contraintes, se maquille peu, se cultive ; Adélaïde Labille-Guiard nous en peint ici un parfait exemple, qui terminera dans les collections du couple Cognacq-Jay.
Quand la monarchie s’effondre, l’artiste prend la décision intelligente de partir chercher sa clientèle ailleurs. Elle est notamment chargée de réaliser le portrait de quatorze députés, dont Robespierre. Malgré ses relations étroites avec la famille royale et l’aristocratie en général, elle est donc épargnée grâce à sa bonne conduite sous la Révolution. Elle expose encore une fois au salon de 1800, avant de s’éteindre trois ans plus tard, le 24 avril.
Raphaëlle Agimont
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