Écrire sur le château Frontenac, c’est évoquer une part de l’histoire moderne du Canada. L’origine du projet est en effet liée à la création de cet État fédéral. Lorsque la Colombie-Britannique décide, en 1871, de rejoindre la Confédération qui regroupe l’ensemble des territoires coloniaux britanniques d’Amérique du Nord sous l’égide du gouvernement canadien, elle impose une clause : le chemin de fer devra la relier à l’Est du pays dans les dix prochaines années. Un défi relevé en 1885 et ce malgré les terribles conditions de travail qui provoquèrent la mort d’environ 600 des 15.000 ouvriers chinois sous-payés qui furent employés sur le chantier. À la manœuvre du projet se trouve la compagnie ferroviaire du Canadien Pacifique, fondée en 1881. Très rapidement, cette dernière ne se contente pas d’assurer l’exploitation des lignes de transport, elle cherche à les rentabiliser au maximum en jalonnant les voies de nombreux hôtels tout au long du trajet. C’est dans ce cadre, qu’en 1892, la compagnie confie la construction d’un nouvel hôtel de luxe, le château Frontenac, à l’architecte américain Bruce Price. Devenu un symbole de la ville de Québec et du Canada, l’édifice qui fait face au fleuve Saint-Laurent est aujourd’hui considéré comme l’hôtel le plus photographié au monde.
Le monument qui nous est contemporain est cependant issu du travail de plusieurs architectes. Différentes campagnes de constructions viendront façonner l’établissement tel que nous le connaissons. Le château est bâti sur un terrain acheté par le Canadien Pacifique à l’emplacement du cap Diamant, l’extrémité de la falaise sur laquelle se trouve le Vieux-Québec et sa citadelle. La topographie du lieu inspire à Bruce Price une architecture qu’il veut pittoresque. Il imagine un édifice en style « château » qui s’inspire particulièrement de l’architecture de la Renaissance française et italienne. On le caractérise par l’usage de hautes toitures très inclinées rappelant celles des châteaux de la Loire mais aussi par des corps de bâtiments organisés de manière asymétrique. Price y ajoute également des éléments d’architecture rappelant l’Europe tels que la construction de tours circulaires et l’usage de matériaux polychromes, ici principalement une alternance entre la brique rouge et la pierre blanche. Ce dernier élément traduirait l’influence du critique d’art anglais John Ruskin dans les travaux de Price.
Le plan original est en forme de fer à cheval faisant face à l’Est, vers le fleuve en contrebas. La façade qui permet d’accéder au bâtiment est la plus ornée de toutes. À l’extrémité la plus saillante est aménagée la grande tour ronde qui communique directement au rez-de-chaussée avec le hall d’entrée de l’établissement. On offre ainsi au visiteur une vue imprenable sur la vallée du Saint-Laurent et sur les montagnes plus éloignées de la rive Nord. L’ensemble achevé et inauguré en 1893 est bordé d’une esplanade piétonne appelée la promenade Dufferin. À son plan d’origine, l’architecte américain fait ajouter en direction de la ville l’aile et le pavillon dits « de la Citadelle » au cours des années 1898-1899. L’ensemble comprend désormais une cour intérieure où peuvent circuler les fiacres des nouveaux arrivants, bientôt remplacés par les premières automobiles. Dès l’origine, l’hôtel est pourvu du confort le plus moderne : outre l’habituelle salle de restaurant, on y trouve notamment un coiffeur-barbier. L’électricité est également présente dans tout l’établissement.
Pendant plus de dix ans l’hôtel ne connaît plus de modifications dans son aménagement extérieur mais le Canadien Pacifique va faire de ce lieu l’un des plus prisés du pays, voire d’Amérique du Nord. En conséquence, la fréquentation de l’établissement augmente de plus en plus et l’on doit se résoudre à agrandir encore l’édifice. Bruce Price étant décédé en 1903, c’est à l’architecte en chef du Canadien Pacifique, Walter Scott Painter, que revient la charge d’ajouter l’aile Mont-Carmel à l’extrémité Sud-Ouest de la cour de 1908 à 1909.
L’année 1919 voit ensuite le début de la planification du plus grand projet de réaménagement de l’hôtel. Une partie des locaux d’origine sont détruits pour faire place au nouveau projet des frères Edward et William Sutherland Maxwell. L’aile Saint-Louis est conçue au Nord du complexe, en parallèle de l’aile Mont-Carmel. C’est enfin à ce moment qu’est entrepris l’édification de la grande tour centrale de 17 étages à l’emplacement de la cour intérieure du premier projet. Si le style architectural voulu à l’origine est respecté, cette gigantesque tour des deux frères avait certainement pour but de rendre hommage à Price qui fut également en son temps l’un des pionniers de la construction de gratte-ciels aux États-Unis. Du reste, ce grand chantier passe des plans à la réalité entre 1920 et 1924.
L’histoire ne s’arrête pourtant pas là pour cette véritable vitrine de la compagnie ferroviaire canadienne. En janvier 1926, l’ensemble de l’aile bordée par la promenade Dufferin, la plus ancienne de cet ensemble architectural, le lecteur s’en souvient certainement, disparaît dans un incendie. Qu’à cela ne tienne, la reconstruction est immédiatement décidée et l’architecte Raoul Chênevert en profite pour exposer un nouveau projet d’extension qui est finalement rejeté.
Comme nous l’avions dit, le château Frontenac c’est un peu de l’histoire du Canada. Il est le lieu de plusieurs événements importants de l’histoire moderne ; en août 1943, avec la première conférence de Québec où se prépare la capitulation de l’Italie fasciste puis avec la deuxième conférence de septembre 1944, préparant la fin du second conflit mondial. Durant ces deux sommets, l’hôtel put accueillir non seulement les débats, mais aussi la quasi-totalité des délégations alliées présentes sur place. C’est enfin en 1945 qu’y est fondée l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Le château Frontenac entrait un peu plus encore dans l’histoire de Québec, du Québec et du Canada tout entier.
Tout au long de son histoire et avec sa capacité totale de 611 chambres, le château Frontenac, du nom de Louis de Buade, comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France au XVIIe siècle, aura vu défiler de nombreux inconnus mais aussi quelques personnages illustres. C’est notamment le cas de Charles Lindbergh, d’Alfred Hitchcock ou de Charles De Gaulle. L’année 1993, celle du centenaire, fût enfin l’occasion d’ouvrir une dernière aile baptisée Claude-Pratte où se trouve un centre de remise en forme. À l’occasion de cette date anniversaire, la poste canadienne commercialisa un timbre à son effigie. Lors de la construction de l’établissement, le directeur de la compagnie du Canadien Pacifique avait souhaité faire de cet hôtel le plus réputé du continent. Il est aujourd’hui connu également à travers le monde. Inscrit à la liste des lieux historiques du Canada depuis 1981, il figure désormais au patrimoine mondial de l’UNESCO, une véritable consécration.