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La Tour Eiffel, étendard de modernité


Parant des clés autour du globe ou habillant les arrière-plans d'innombrables long-métrages, la Tour Eiffel est un des symboles les plus éclatants de la ville de Paris. Point culminant de près d’un siècle de Révolution Industrielle, ce monument est une prouesse scientifique, déchainant les passions au moment de sa construction. La Tour Eiffel, c'est l'histoire formidable d'un pari d'ingénieur venant effacer la limite ténue entre art et industrie.

La Tour Eiffel, vue depuis le parvis des droits de l'homme

La course à la hauteur, autrefois l'apanage des édifices religieux, concerne également les bâtiments laïques à la fin du XIXe siècle. L’obélisque de Washington, s’élevant à 169 mètres, décroche en 1884 et après presque quarante ans de travaux le record du monde de hauteur tout en entraînant dans le même temps la fin des illusions en ce qui concerne la pierre. En effet, le monument devait à l’origine atteindre les 180 mètres, mais la base de l'obélisque peinait à supporter son propre poids, causant d'importants retards pour le chantier et une révision à la baisse de la taille du monument. Les ingénieurs et architectes étudient dès lors avec une attention grandissante les propriétés du fer, certains esprits allant jusqu’à imaginer des tours de 300 mètres de haut, sans que leurs projets aboutissent. C’est le cas d'une initiative américaine, la Tour Centenaire, conçue pour l'Exposition universelle de Philadelphie en 1876 par les ingénieurs Clarke et Reeves. Ce pylône cylindrique ne voit toutefois jamais le jour, faute de fonds.

Maurice Koechlin, premier croquis, 1884

L’Exposition universelle de 1889, à Paris, est particulièrement importante en cela qu’elle coïncide avec le centenaire de la Révolution Française. Elle est annoncée en 1884 par le président Jules Grévy. La perspective de cet événement provoque une immense émulation créative. La première esquisse de ce qui deviendrait la Tour Eiffel est réalisée le 6 juin 1884 par deux ingénieurs de l’entreprise Eiffel : Maurice Koechlin et Emile Nouguier. Les deux hommes développent la forme caractéristique de la tour, d’abord pensée comme une solution technique pour répondre à la force du vent. Les quatre piles incurvées devaient à l'origine être reliées tous les 50 mètres. Cependant l'idée ne convainc pas Gustave Eiffel qui encourage toutefois les deux hommes à continuer leurs recherches. Ils font alors appel à Stephen Sauvestre, qui apporte au projet quelques modifications. L'architecte complexifie la tour, réduisant le nombre de plateformes, ajoutant ornements et salles vitrées, donnant une dimension esthétique au projet, bien que le monument tel que nous le connaissons soit une simplification de sa vision. Lorsque les plans sont à nouveau présentés à Gustave Eiffel, ce dernier déborde d'enthousiasme. Déposant dans un premier temps le brevet en leurs trois noms, il rachète peu après leurs parts à Maurice Koechlin et Emile Nouguier. C'est pourquoi seul son nom est accolé au monument. D’autres projets voient le jour à Paris, comme celui de Jules Bourdais, architecte à l’origine du palais du Trocadéro. Cependant, attaché à la pierre, ce dernier prépare une tour irréaliste, ne prenant pas en compte la résistance des matériaux.


Reste à obtenir une opportunité de construire. Le 1er mai 1886, le ministre du commerce Edouard Lockroy annonce l'ouverture d'un concours en vue de l'Exposition universelle visant à édifier sur le champ de Mars une tour à base carrée de 300 mètres de haut. Sur les 107 projets proposés, beaucoup semblent irréalisables. Il n’y eut en effet que 17 jours entre l’annonce du concours et la remise des projets. Jules Bourdais, qui avait abandonné l’idée de la pierre au profit du fer, est malgré tout vaincu par Gustave Eiffel, qui met en avant non seulement la structure de son édifice mais aussi tous les usages scientifiques qui pourraient en être fait. La tour est financée en partie par l'industriel, qui en conserve par conséquent la jouissance pendant vingt ans, durée au bout de laquelle l'édifice devient propriété de la ville de Paris.

21 août 1888, montage de la deuxième plateforme

Le chantier commence le 1er juillet 1887, par la réalisation des fondations. Ces dernières sont achevées en cinq mois. Tout au long de la construction du monument, le nombre d’ouvriers n’a pas dépassé deux-cent-cinquante, ce qui peut sembler relativement peu pour un édifice de cette envergure. Cependant la plupart des travaux étaient réalisés en amont au siège de l'entreprise Eiffel : l'usine de Levallois-Perret. Les pièces parvenaient donc préfabriquées, et seul un tiers des 2 500 000 rivets sont réalisés sur place. Les travaux ont beau s’achever avec un retard de près d’un an, la tour est finie le 31 mars 1889, à temps pour l’ouverture de l’Exposition universelle. Elle rencontre un grand succès, charriant près de deux millions de visiteurs, mais la fréquentation retombe très rapidement. En effet, ce n'est que dans les années 1960, avec l’avènement du tourisme de masse, que le monument renoue avec la foule. Cet insuccès premier menace la tour de démantèlement à la fin des vingt ans alloués à Gustave Eiffel. Elle doit son salut à son intérêt scientifique, cultivé avec acharnement par l'industriel. Station de météorologie, antenne hertzienne, télégraphique ou encore soufflerie, le monument contribue particulièrement à la recherche expérimentale chère à son homonyme. Au premier étage de l'édifice, soixante-douze noms sont affichés en lettres dorées de 60 centimètres de hauteur autour de la Tour Eiffel : il s’agit d’autant de scientifiques importants ayant contribué à l’avancée de la science. C'est une décision de Gustave Eiffel, qui disait vouloir honorer la mémoire des scientifiques. La sélection n'est cependant pas basée uniquement sur le mérite, mais répond également à des considérations métriques : les noms étant contenus dans des caissons, il s'agit de ne pas dépasser une certaine longueur.

Georges Seurat, Tour Eiffel 1889, San Francisco

Au moment de son édification, la Tour Eiffel est la cible de critiques récurrentes. Une lettre du 14 février 1887, la Protestation des artistes contre de la tour de M. Eiffel, rassemble entre autres Guy de Maupassant, Emile Zola ou encore Sully Prud'homme. Maupassant, parmi les plus virulents opposants de la tour, venait une fois la construction achevée y manger régulièrement, arguant : "C'est le seul endroit d'où je ne la vois pas". La virulence des critiques capitule pourtant face au succès public de la tour achevée, et certains signataires de la lettre font, quelques années plus tard, l'éloge du monument. Inspirant dès 1889 des artistes comme Georges Seurat, qui signe une Tour Eiffel pointilliste, aujourd'hui conservée au musée des Beaux Arts de San Francisco, la tour se mêle également à des médias naissants. Filmant leur ascension à l'aide d'un cinématographe en 1897 dans la vue Panorama pendant l'ascension de la Tour Eiffel, les frères Lumière sont les premiers à contribuer à l'immense tradition cinématographique du monument. A l'arrière-plan, le palais du Trocadéro va en diminuant, symbole de la pierre clouée au sol au moment où le fer s'élance vers le ciel.


Détrônée en 1930 par le Chrysler Building, la Tour Eiffel continue d'incarner l'histoire d'une ambition démesurée au service de la science et de la renommée.

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