Depuis le 12 juin dernier, la salle des tissus du Château d’Ecouen, musée national de la Renaissance, dévoile un nouvel accrochage. Ouverte en 1990, celle-ci présente par rotations et par thématiques choisies, les collections textiles du musée.
Pour l’accrochage de cet été, Muriel Barbier, conservatrice en charge de ces collections, a choisi d’aborder l’art de la broderie.
Le château d'Ecouen
Attesté depuis le XIIe siècle et reconstruit à partir de 1538 par le connétable Anne de Montmorency, proche et ami du roi François Ier puis de son fils Henri II, le Château d’Ecouen est un flamboyant exemple d’architecture Renaissance.
Employant les plus grands artisans d’alors, le connétable fît notamment appel à l’architecte Jean Bullant et au sculpteur Jean Goujon. Situé à une vingtaine de kilomètres de Paris et surplombant la plaine de France, la bâtisse présente, dans sa cour intérieure, diverses influences italiennes, allant de Bramante à Serlio.
Devenu "Musée national de la Renaissance" en 1977 sous l’impulsion d’André Malraux, les collections qui s’y épanouissent revêtent un caractère exceptionnel. Tapisseries, peintures, orfèvrerie ou encore émaux, les plus belles pièces de la Renaissance, notamment française, y sont exposées.
Du 12 juin au 27 janvier 2020, la salle des tissus, perchée au sommet de l’aile Nord, se pare donc d’un nouvel accrochage. L’art de la broderie s’y déploie, sous toutes ses formes. Avec des pièces allant du XVIe au XVIIe siècle, l’inventivité des brodeurs et dessinateurs de la Renaissance s'y retrouve mise en exergue et, au vu de la qualité de celles-ci, leur grande maîtrise technique également. Divisée en quatre vitrines distinctes, la présentation accuse plusieurs catégories.
Chefs-d’œuvre
Dans la première vitrine, deux pièces d'exception se retrouvent isolées. Elles présentent un travail d'une grande qualité et des techniques rarement déployées. La première, un panneau espagnol datant du XVIe siècle représentant Saint Pierre trônant, constitue un magnifique exemple de broderie en or nué.
Technique consistant à broder des fonds d’or en ombre et lumière, la broderie en or nué apparaît vers la fin du XIVe siècle. Elle est issue d'une volonté de broderie très réaliste, "peinture à l'aiguille", empreintes d’œuvres picturales de maîtres comme Van Eyck ou encore Van der Weyden.
Les fils d'or sont disposés sur toute la surface de l'objet. Ceux-ci ne sont recouverts qu'à certains endroits de fils de soie, créant ce jeu, si particulier, d'ombre et de lumière.
La deuxième pièce met en avant une technique aussi particulière que rare : la broderie en relief. Réalisé dans un atelier français au XVIIe siècle, d'après Jan I Sadeler et Martin de Vos, ce panneau de cabinet inférieur présente l'histoire d'Adam et Ève. Ayant nécessité une préparation du support avec des rembourrages, la pièce fut ensuite recouverte de fils de soie et fils métalliques. L'impression sculpturale est palpable.
Le peu de panneaux en broderie en relief à nous être parvenus accusent une taille plus réduite. Ils ornaient généralement les intérieurs de cabinets. Celui-ci constitue donc véritablement une pièce rare, dans un exceptionnel état de conservation.
Scènes brodées
La seconde vitrine présente une sélection de quatre fragments, de provenances diverses, en "peinture à l'aiguille". Évoquée plus haut dans l'article, cette technique vise à reproduire un dessin, gravure ou peinture sur une toile en remplissant le motif à l’aide de fils de soie ou de coton. Elle se réalise en passé empiétant par des successions de points lancés.
Exposés avec un recueil de modèles imprimé à Padoue en 1604, ces fragments proviennent d’œuvres profanes comme sacrées. Ils démontrent la virtuosité des brodeurs dans la représentation de scènes figuratives. Les recueils comme celui-ci étaient fréquemment utilisés, non seulement par des professionnels, mais également par des amateurs.
Décors de Broderie
Ce recueil entretient d'ailleurs un lien étroit avec la vitrine suivante. La broderie, à la Renaissance, pouvait couvrir des décors complets, des murs entiers. Une pièce a particulièrement retenu notre attention. Il s'agit d'un antependium, un "devant d'autel", brodé de perles de verre. Datant du XVIIe siècle, il provient d'un atelier français. Cette pièce de grand format rappelle la place importante de la broderie dans les décors d'apparat aux XVIe et XVIIe siècles.
Le deuxième antependium présenté dans cette vitrine introduit le songe de Jacob selon une gravure de Bernard Salomon. Il accuse une technique très répandue dans les années 1580-1610, à savoir le petit point sur canevas.
Le canevas, tissu support, est une toile lâche qui permet la pratique de multiples points d’ornement et qui doit être entièrement recouvert par la broderie. Les toiles de canevas déterminent par leur finesse, plus ou moins grande, la taille des points et donc la préciosité du modèle et des nuances.
Broderies liturgiques
Enfin, la dernière vitrine est consacrée à la liturgie. Pendant la Renaissance, la création et l'assemblage d'ornements et orfrois pour les habits religieux sont confiés aux maîtres-brodeurs. Chasubles, dalmatiques, devants d'autels et autres pièces textiles susceptibles d'être utilisées pendant l'office se retrouvent ainsi parées, dévoilant une iconographie tirée de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les coloris et autres tons sont intimement liés au calendrier liturgique.
Quelques fois démantelées par des collectionneurs et marchands peu scrupuleux, certaines pièces consistent en un réassemblage à posteriori. Une chasuble recomposée et une dalmatique permettent ici d'appréhender ce phénomène mais aussi de comprendre comment les broderies sont appliquées sur le vêtement.
Deux objets ont particulièrement attiré notre regard. Il y a d'abord ce magnifique corporalier, daté de 1550, brodé d'une Lamentation du Christ d'après un potentiel modèle de Jean Cousin père. L'objet n'avait pas été exposé depuis l'exposition consacrée au maître et son fils en 2014, au Musée du Louvre. Il nous renseigne sur les liens étroits qui existaient entre peintres et autres graveurs, et les brodeurs. En effet, des documents attestent des relations de Cousin avec plusieurs familles de brodeurs sénonais, les Vallet et les Jouan. C’est notamment à Pierre Vallet qu’il donna en 1550 les dessins de douze pièces et d’un baldaquin destinés à la chambre de la duchesse de Nevers et, à un de ses apprentis, Louis Giguet, ceux d’orfrois de chapes commandés en 1551 par la cathédrale de Sens.
Il y a enfin cet intriguant panneau de la seconde moitié du XVIe siècle de facture presque "exotique". Représentant Saint Pierre, la provenance en est incertaine, signifiée par un simple "atelier français" sur le cartel. Le Saint personnage est représenté de manière assez précise alors que les arbres qui l'entourent, d'apparence presque extra-européenne, apparaissent plus grossiers. De même le fond, partagé entre le vert, le blanc et enfin le bleu, semble presque inachevé.
La salle des tissus présente donc un nouvel accrochage riche. Le propos sur la broderie est érudit mais aisément assimilable. En effet, un mobilier interactif a été installé dans un coin de la salle. Celui-ci présente de manière claire les techniques de tissage ainsi que les différentes matières textiles. N'hésitez pas à en ouvrir les multiples tiroirs: vous pourrez alors, en complément de la vidéo explicative, toucher ces matières.
Par ailleurs, la découverte de la broderie peut, et doit, se poursuivre dans les salles du château, notamment au premier étage avec la tenture de l'Arsenal et de l'Histoire de Sainte Catherine d'Alexandrie en provenance de l'église Sainte-Marthe de Tarascon.
Conçu comme un écho de l'exposition L'Art en broderies au Moyen-Âge, qui se tiendra au Musée de Cluny à Paris du 24 octobre 2019 au 20 janvier 2020, ce nouvel accrochage présente de superbes pièces, à l'image des collections du Château d'Ecouen, un lieu facilement accessible depuis Paris, à visiter.
Coupe-File vous recommande de vous perdre dans les salles du palais d'Anne de Montmorency, et surtout de monter jusqu'à la salle des tissus.
Photos ©Coupe-File Art
Château d'Ecouen, 95440
Accès par le train (SNCF) : . Gare du Nord banlieue : ligne H (voie 30 ou 31) 22 minutes . Direction Persan-Beaumont / Luzarches par Monsoult . Arrêt gare d'Écouen-Ezanville . Puis autobus 269, direction Garges-Sarcelles (5 minutes) . Arrêt Mairie/Château . Ou rejoindre le musée à pied depuis la gare (20mn) par la forêt.
Accès par l'autoroute (à 19 km de Paris) : . Autoroute A1 depuis la Porte de la Chapelle . Suivre Roissy CDG . Sortie Goussainville / Cergy-Pontoise . Sur la Francilienne (D104) . Direction Cergy-Pontoise . Puis RD 316 (N16) en direction de Paris
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