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La Fondation Gianadda s'offre Cézanne et Renoir

Par Margot Lecocq


Après l’engouement suscité l’hiver dernier par la peinture de l'artiste Suisse Albert Anker, la Fondation Pierre Gianadda accueille pour sa saison estivale une rencontre de taille entre deux monstres de l’histoire de l’art : Paul Cézanne (1839-1906) et Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). Suite à une première escale au Palazzo Reale à Milan, l’exposition « Cézanne – Renoir : regards croisés » s’envolera début 2025 pour l’Asie où elle déploiera ses chefs-d’œuvre de Hong Kong à Séoul, en passant par Tokyo. Martigny, deuxième étape de ce périple international, en sera l’hôte jusqu’au 19 novembre prochain. Constitué des collections des musées d’Orsay et de l’Orangerie – qui ont prêté la quasi-intégralité de leurs toiles de Cézanne et de Renoir pour une durée de deux ans –, l’événement revient sur l’amitié des deux peintres, leurs similitudes et leurs dissemblances. Dernier projet sur lequel Léonard Gianadda (1935-2023) a œuvré sans relâche jusqu’à la fin de ses jours, cette exposition clôt un chapitre et marque un tournant symbolique pour la fondation et son nouveau président François Gianadda.

 

Pierre-Auguste Renoir, Jeunes filles au piano, vers 1892, huile sur toile, 80 x 63 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1960 16 © RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie)

           



Ce ne sont pas moins de trente-et-unes œuvres de Renoir (5 provenant du musée d’Orsay, 24 du musée de l’Orangerie et 2 de la Fondation Gianadda), vingt-et-unes peintures de Cézanne (6 provenant du musée d’Orsay, 14 du musée de l’Orangerie et 1 de la Fondation Gianadda), ainsi que deux Picasso (musée de l’Orangerie) qui ornent les cimaises depuis le 12 juillet dernier. L’amitié qui unissait les deux artistes et l’intérêt porté par le marchand d’art Paul Guillaume (1891-1934) à leurs productions respectives sont à la source de ce rapprochement osé et singulier.








Paul Cézanne, Arbres et maisons, vers 1885, huile sur toile, 54 x 73 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1963 8 © Margot Lecocq


Les deux artistes n’ont à première vue que peu de choses en commun : l’un s’inscrit dans une conception impressionniste de la peinture et opte pour des carnations porcelaines empourprées d’un bois de rose vibrant ; l’autre appréhende son art dans un esprit analytique et assume une certaine distanciation vis-à-vis des modèles et des formes qu’il représente. Selon Cécile Giradeau, conservatrice du patrimoine au musée de l’Orangerie et commissaire de l'exposition, ce qui unit Cézanne et Renoir surpasse fondamentalement ce qui les divise. Bien qu’ayant recours à des manières de peindre tout à fait différentes, ils partagent des intérêts communs.


Le genre du nu a par exemple trouvé chez eux une expression distincte au travers de la thématique des baigneuses. Les corps féminins y sont traités de manière géométrique et lointaine chez Cézanne, ou de manière sensuelle et vaporeuse chez Renoir. La nature morte, le paysage et les scènes intimes relevant de l'univers familial font partie des focales de l’exposition qui propose au visiteur une confrontation directe des toiles des deux maîtres, et ce, pour chacun des sujets abordés. Les paysages d’hiver, assez rares dans les œuvres de Cézanne et de Renoir sont mis à l'honneur, au même titre que leurs réalisations dans le domaine des arts décoratifs dont témoigne le panneau de La Barque et les baigneurs. Réalisée pour l’appartement parisien du collectionneur et amateur d’art Victor Chocquet (1821-1891), cette esquisse de dessus-de-porte exécutée par Cézanne vers 1890 donne à voir une autre facette du peintre. Ce panneau aujourd'hui restauré est longtemps resté désassemblé en trois endroits, menant l'exposition à aborder l’histoire matérielle des œuvres.



Paul Cézanne, La Barque et les baigneurs, vers 1890, huile sur toile, trois panneaux, 30 x 100 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1960 12 ; RF 1960 13 ; RF 1973 55 © Margot Lecocq


Chez Renoir, le sublime Paysage algérien, le ravin de la femme sauvage (1881) rappelle, par ses teintes chatoyantes et ses effets de chaleur, la sensibilité à l'Orient et aux effets atmosphériques d'un Delacroix. Cette référence aux maîtres est constante dans l’œuvre des deux peintres et tout particulièrement chez Renoir, chez qui Ingres et Raphaël s’immiscent discrètement dans les représentations de baigneuses.


Pierre-Auguste Renoir, Paysage algérien, le ravin de la femme sauvage, 1881, huile sur toile, 65 x 81,5 cm, Paris, musée d'Orsay, inv. RF 1943 62 © Margot Lecocq




Kees van Dongen, Portrait de Paul Guillaume, vers 1930, huile sur toile, 100 x 74 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1963 53 © Margot Lecocq

L’effet d’ensemble est particulièrement réussi puisqu’il invite à une présentation renouvelée de ces toiles bien connues du public parisien, dans un écrin offrant une perspective à 360°. Le discours rapprochant les œuvres de Cézanne et de Renoir pourrait en revanche gagner davantage en limpidité, notamment par l’augmentation des textes de salles ou par l’enrichissement des notices d’œuvres du catalogue – assez courtes et un peu trop descriptives –, laissant légèrement leur lecteur sur sa faim malgré les éclaircissements procurés en début d'ouvrage. En revanche, l'exposition permet au visiteur de mieux appréhender l’ensemble de la carrière des deux artistes, d'en saisir les évolutions et surtout de comprendre le rôle fondamental qu’ils ont pu jouer pour les avant-gardes du XXe siècle. Tout en offrant la possibilité à un public étranger de contempler les œuvres conservées à Paris, l'exposition fait aussi parfaitement écho à celle de la Fondation de l’Hermitage – « Chefs-d’œuvre du musée Langmatt : Boudin, Renoir, Cézanne, Gauguin » (du 28 septembre au 03 novembre 2024, Lausanne) – présentant la collection du musée Langmatt de Baden (actuellement fermé pour travaux), qui ne conserve pas moins de vingt-deux peintures de Renoir. L’histoire du collectionnisme et du marché de l’art est elle aussi particulièrement mise en valeur par l’intérêt des commissaires porté aux figures de Paul Guillaume, d’Ambroise Vollard (1868-1939) et de Paul Durand-Ruel (1831-1922), ces derniers s'étant tous deux portés acquéreurs de toiles de Renoir et de Cézanne.


Paul Cézanne, Vase paillé, sucrier et pommes, 1890-1894, huile sur toile, 36 x 46 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1963 9 / Pierre-Auguste Renoir, Pêches, 1881, huile sur toile, 38 x 48 cm, Paris, musée de l'Orangerie, inv. RF 1963 16 © Margot Lecocq

Suite à l’organisation d’heureuses rencontres précédentes, telle celle de Rodin et de Giacometti en 2019, la Fondation Gianadda propose avec les musées d’Orsay et de l’Orangerie un dialogue touchant sur l’amitié qui unissait Cézanne et Renoir, et met ainsi en lumière le caractère profondément sensible des deux hommes. Si leurs toiles délaissent les cimaises des institutions parisiennes pendant un long moment, un vent d’air frais souffle néanmoins sur l’accrochage du musée de l’Orangerie, qui a dû repenser intégralement la disposition de ses salles habituellement consacrées aux deux artistes.

Avec un bilan en demi-teinte, « Cézanne – Renoir : regards croisés » offre la possibilité de poser un autre regard sur ces figures tutélaires au travers d'un propos scientifique qui reste légèrement en surface par rapport à ce qu'on en attendrait. Malgré une petite ombre au tableau, l’effet suscité au sein de la Fondation Gianadda reste somptueux, et garantit au visiteur une expérience de délectation profonde. Lors du vernissage, François Gianadda confiait : « La fondation a une longue tradition avec l’impressionnisme. Papa [Léonard Gianadda] en a longuement parlé avec Christophe Leribault, ancien président du musée d’Orsay. Papa a tout de suite souhaité accueillir cette exposition portant sur ces deux géants de l'histoire de l'art. Christophe venait de prendre ses fonctions et mettait alors en place sa politique de diffusion des collections "worldwide", ce qu’il a admirablement réussi. Nous avons la chance d’être le premier arrêt après Milan. Cela est extraordinaire pour nous, car de tous côtés, l’exposition est magnifique. »


 

« Cézanne – Renoir : regards croisés »

Fondation Pierre Gianadda, Martigny (Suisse)

Jusqu'au 19 novembre 2024


Commissariat :

Cécile Girardeau, Conservatrice du patrimoine au musée de l'Orangerie

Alice Marsal, Responsable des archives et de la documentation au musée de l'Orangerie


Tarifs : 20 CHF (environ 21€)


Site internet de la Fondation Pierre Gianadda :

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