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La chapelle Saint-Hubert du château d’Amboise, entre dentelle de pierre gothique et dorures contemporaines

Par Solène Feix


La physionomie passée du château d’Amboise nous est aujourd’hui connue grâce aux dessins de Jacques Androuet du Cerceau. Bien qu’ils comportent parfois une dimension fantastique, ces documents témoignent de l’agencement et de l’ampleur que pouvait avoir la bâtisse. Comme de nombreux édifices, le château d’Amboise est un véritable « millefeuille » architectural, constitué d’ajouts successifs. Afin de démêler les sections relevant de la Renaissance et ce qui peut au contraire être lié à des ajouts, différentes photographies peuvent, par exemple, nous aider. Dans ce cadre, le XIXe siècle marque une période charnière dans son histoire, avec d’importants travaux dirigés par deux architectes des monuments historiques, Victor Ruprich-Robert (1820-1887) et son fils, Gabriel Ruprich-Robert (1859-1953), qui interviennent entre 1871 et 1928. Ce travail intergénérationnel, mené parfois conjointement, ou séparément, illustre la dimension collective et familiale d’une entreprise visant à restaurer l’édifice selon une idée primitive du château. Le XIXe siècle retrouve le gothique et la Renaissance comme on peut l’observer dans certains châteaux de la Loire à l’image de celui d’Amboise. Afin d’étudier cette dynamique précise de restauration, la chapelle Saint-Hubert du château royal est un bon moyen de comprendre les tenants et aboutissants d’un tel chantier.

 

La Chapelle Saint-Hubert, côté Nord. Base de données pop.
La Chapelle Saint-Hubert, côté Nord. Base de données pop.

 

Disparaître et réapparaître

 

L’histoire du château d’Amboise est profondément liée à des chantiers royaux initiés à différentes périodes. Son origine remonte au règne de Charles VIII, lorsque le château d’Amboise prend, en 1492, une envergure royale, inspirée des grands palais du duché de Milan. Le souverain, qui se fait maître d’ouvrage, dirige un chantier mobilisant environ 250 ouvriers, parmi lesquels des maîtres tels que Guillaume Senault et Louis Armangeart. Ces derniers se connaissent et se croisent sur d’autres chantiers d’importance, comme à Gaillon ou Bourges.

Ces projets, constituent à l'époque un entrecroisement d’acteurs venus de divers horizons ces chantiers, formant un espace de convergence où artisans et architectes collaborent et échangent sur leurs expériences artistiques.

L’histoire de l’art, tout comme l’histoire de l’architecture est aussi une recherche des absences. L'étude des documents graphiques et photographiques permettent ainsi de saisir des états antérieurs, des choix faits durant les chantiers des périodes modernes ou contemporaines. Dans le cas de la chapelle Saint-Hubert, cette photographie (Fig.1) de l’édifice avant sa restauration au XIXe siècle révèle un tympan roman, avec une petite rose et deux quadrilobes situés en partie basse, de part et d’autre. Un agencement transformé par Victor Ruprich-Robert, qui conçoit la version actuelle dans un style néogothique.

 

Chapelle du château d’Amboise, vue extérieure, Circa 1882. [Photographie] Base Monumentum
Chapelle du château d’Amboise, vue extérieure, Circa 1882. [Photographie] Base Monumentum

En effet, la chapelle d’Amboise « a été l'objet d'importantes restaurations, sous la direction de M. Ruprich-Robert père. » Ces travaux ont précisément été réalisés entre 1880-1885 par Victor Ruprich-Robert, accompagné d’autres interventions modifiant le corps de logis du château. Suite à son travail, le tympan est désormais orné d’une Vierge à l’Enfant entourée de quatre anges, avec, à ses pieds, Charles VIII et Anne de Bretagne, commanditaires de la chapelle. Cette transformation illustre la réinterprétation de figures historiques issues de la Renaissance pour servir une esthétique contemporaine.

 

L'étude des documents historiques permettent de constater que certains choix du passé n'ont jamais été réalisés. Nous remarquons ainsi que les cloches initialement prévues pour la chapelle Saint-Hubert au XIXe siècle ne furent ainsi jamais installées, la charpente restaurée ne pouvant pas supporter un tel poids. La dernière restauration terminée en 2024, et les techniques dont nous disposons aujourd'hui ont toutefois permis de réaliser ce souhait d’entendre sonner la chapelle dans la ville d’Amboise.


Si le XIXe siècle a parfois opéré des changements assez importants sur certaines parties de la chapelle Saint-Hubert, son passage reste parfois plus discret sur d'autres endroits. Malgré une rupture stylistique dans la conception du tympan, une certaine continuité est en effet respectée avec le linteau inférieur datant de la Renaissance. Celui-ci n’a pas disparu sous la pression du XIXe siècle mais a été légèrement modifié par des ajouts sculpturaux, comme cela a été récemment observé lors du dernier chantier de restauration. Après un nettoyage minutieux, les ajouts du XIXe siècle apparaissent sous une teinte marron, tandis que le reste des sculptures conserve une patine grise caractéristique du travail original de la Renaissance.


Détails sculptés après nettoyage, éléments de couleurs ocre sont issus du XIXe siècle. Photographie Solène Feix.
Détails sculptés après nettoyage, éléments de couleurs ocre sont issus du XIXe siècle. Photographie Solène Feix.

La dernière restauration permet, par ces différences de teintes des sculptures, de témoigner de l’enchevêtrement des temporalités au sein de l’édifice. Ce phénomène reflète également le rythme propre aux chantiers, dicté par les exigences des commanditaires, les impératifs techniques et les choix des architectes, marquant chaque époque de leur empreinte.


La pierre de tuffeau travaillée à la Renaissance


Détail actuel du tympan et du linteau de la chapelle. Photographie : Solène Feix
Détail actuel du tympan et du linteau de la chapelle. Photographie : Solène Feix

Cette matérialité est toutefois presque oubliée par cette dentelle de pierre qu’est le linteau. Celui-ci aurait initialement été réalisé par Michel Colombe selon diverses hypothèses comme celle de l’abbé Bosseboeuf. Le programmer décoratif donne à voir différentes figures humaines ou animales. Il est constitué en particulier sur la droite, de deux cerfs au sein d’une forêt. Une figure se trouve à genoux vers un autre cerf entouré de chiens. Du côté gauche, on retrouve des arbustes mêlés à deux figures de tailles différentes. À l’image du château, ce linteau est finalement au croisement de style de la Renaissance agrémenté de la finesse gothique. Les artisans ou artistes, comme Michel Colombe, travaillent tout particulièrement en Touraine et circulent dans ce territoire, emportant avec eux des répertoires iconographiques. Ce linteau peut ainsi être observé à la lumière d’un bas-relief représentant la chasse de Saint-Hubert, installé sur l’église Saint-Roch de Bridoré. Cet ouvrage sculpté datant du 4e quart du XVIe siècle, se trouve au sein d’une église localisée à une cinquantaine de kilomètres d’Amboise.



Bas-relief Saint-Hubert, Centre-Val de Loire ; Indre-et-Loire (37) ; Bridoré ; église Saint-Roch, H = 178 ; la = 213. Classé au titre objet en 1907. Base de données Pop
Bas-relief Saint-Hubert, Centre-Val de Loire ; Indre-et-Loire (37) ; Bridoré ; église Saint-Roch, H = 178 ; la = 213. Classé au titre objet en 1907. Base de données Pop

On retrouve par exemple les mêmes postures, c’est-à-dire des figures de profil. Un traitement stylistique identique des animaux est également notable. Ces similitudes permettent de supposer que ce bas-relief, fait après la construction de la chapelle Saint-Hubert, a pu être créé en s’inspirant du linteau d’Amboise.


Avec ce seul ouvrage sculpté, nous voyons comme tout un réseau artistique peut se déployer à l'échelle d'une région entre artistes provenant de différentes régions et se traduire sous nos yeux. Ces ressemblances permettent en effet d'imaginer qu'un groupe d’artistes ayant travaillé avec Michel Colombe à Amboise a pu travailler pour cet autre bas-relief. Ceux-ci on également pu admirer l'œuvre située à proximité et s'en inspirer. Ce qu'il est aussi intéressant de noter, c’est que cet enchevêtrement de travaux individuels et collectifs se perpétue au XIXe siècle.  Dans le cadre de la restauration du linteau de la chapelle, nous avons par exemple pu retrouver le nom du restaurateur et sculpteur : Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume, présent à Amboise entre 1881 et 1885, c'est-à-dire durant la période de restauration du tympan de la chapelle. Tout comme Victor Ruprich-Robert, Celui-ci a aussi travaillé à Caen, où il a peut-être rencontré son homologue Victor Ruprich-Robert, également missionné sur des restaurations dans la ville normande. Ces chantiers de restauration sont alors de véritables vecteurs de découverte pour les architectes, qui cherchent sans cesse les meilleurs créateurs et restaurateurs de France pour œuvrer à divers projets. Avec le seul nom de ce sculpteur, une partie du XIXe siècle se déroule sous nos yeux, puisqu'il était aussi l'ami des précurseurs de la préservation moderne du patrimoine : Eugène Viollet-Le-Duc, Émile Boeswillwald ou encore Jean-Baptiste-Antoine Lassus. A travers le linteau de la chapelle Saint-Hubert, se déploie donc une véritable cartographie des échanges artistiques, où des œuvres individuelles s’insèrent dans un vaste chantier collectif, mobilisant des sculpteurs et artisans de diverses origines, que ce soit à la Renaissance ou au XIXe siècle.



Contributions individuelles et travail collectif : acteurs de l’édification et de la restauration.


Au XIXe siècle, cette entreprise collective est plutôt un travail d’architectes et d’artistes travaillant majoritairement à Paris. En ce qui concerne la Renaissance, les artistes étaient principalement issus de la région ou d'origine italienne ; ce sont eux qui ont façonné l’image que l’on se fait aujourd’hui de cette époque, et le XIXe siècle a insisté sur ce point. Ces artisans et artistes pouvaient être employés dans les ateliers de sculpteurs français tels que Michel Colombe. On peut noter, par exemple que « Michel Colombe avait employé pendant cinq ans deux compagnons tailleurs d’image et deux tailleurs de maçonneries antiques italiens » pour le tombeau des enfants de Charles VIII, 1505-1506, à Tours au sein de la Cathédrale Saint-Gatien. Un sculpteur comme Michel Colombe, travaillant avec son équipe, participait à ces grands ouvrages sculptés, comme des tombeaux, dans un cadre collectif. Ces chantiers réalisés à plusieurs mains rendent aujourd’hui les attributions complexes : qui a travaillé sur quoi ? Cette question se pose aussi pour la chapelle Saint-Hubert. En effet, certains vestiges découverts en 1901 interrogent sur l’implication éventuelle d’artistes italiens, comme les Juste, actifs en Touraine au début du XVIe siècle. Cette collaboration entre artistes français et italiens reflète une dynamique d’échanges culturels et artistiques, qui a marqué la Renaissance française. Plus encore que pour d'autres artistes, l'œuvre de Michel Colombe réunit toutes ces différentes problématiques. La question de l’attribution, en particulier dans le cadre d’un atelier aussi important que Michel Colombe, pose toujours question. L’identité collective, sous le nom du maître, cache des identités individuelles, d’origine italienne ou régionales.


Le travail du plomb


Les pierres ne sont pas les seules impactées par la restauration. Le travail du plomb constitue également une phase essentielle du chantier, notamment pour la flèche de la chapelle. Ce travail prend différentes formes, et d'autres exemples similaires peuvent être trouvés dans la région. La flèche de la chapelle du château de Blois, située à une dizaine de kilomètres, est aujourd'hui ornée de quelques dorures, comme cela aurait dû être le cas pour celle d'Amboise, selon les projets de Victor Ruprich-Robert. Les plans découverts à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine montrent en effet qu’à côté de certains éléments de la flèche, figurent en annotation le terme « dorure ». Jusqu’à la restauration récente, ces éléments étaient quasi inconnus. Cependant, les découvertes réalisées lors de la restauration ont permis de restituer ceux-ci à la flèche d'Amboise. La restauration du plomb s’est alors avérée être un travail crucial, non seulement pour la flèche mais aussi pour la couverture en général. Ainsi, un travail considérable a consisté à déposer la toiture existante et à en confectionner une nouvelle. Au total, entre onze et dix-sept tonnes de plomb ont été enlevées en moins d’une semaine. La décision fut prise de ne pas conserver cette toiture, mais de la recréer à l’identique, en plomb, comme l’avaient fait Victor Ruprich-Robert et son fils Gabriel. Pour ce faire, le plomb a été fondu en Angleterre, où de nouvelles tables ont été réalisées pour cette chapelle. Ainsi, aujourd’hui, nous avons retrouvé une chapelle restaurée, tant pour ses éléments en pierre que pour sa couverture.


A la lumière de la récente restauration de la chapelle Saint-Hubert, il est possible de retracer l’histoire de l'architecture durant la Renaissance française, qui débute en Touraine, notamment au château d’Amboise, perché sur son éperon rocheux. À travers ce chantier de la Renaissance, les acteurs locaux et étrangers se révèlent peu à peu, au fil de leurs travaux sculptés. Plus tard, au XIXe siècle, ce sont les architectes des monuments historiques qui prennent en charge la restauration, le nettoyage et la transmission de cet héritage renaissant. Dans ce processus, des choix de modifications ou de continuité se dessinent. Cependant, un facteur demeure constant : la collaboration entre artistes et ou architectes. Ces travaux modernes ou contemporains sont l’œuvre d’équipes complètes, formées dans des régions géographiques variées mais partageant leurs savoir dans ces lieux bouillonnant de savoir-faire et de créativités que sont les chantiers.

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