« Comme je sais combien vous vous intéressez aux évolutions du goût et du style au XVIIe siècle, je pense que cette peinture retiendra votre attention », écrivit l’amateur et marchand d’art Vitale Bloch au Dr. F. Schmidt-Degener, directeur général du Rijksmuseum en 1936. L’objet de cette missive ? Une toile de la main du Néerlandais Caesar van Everdingen représentant une Allégorie de l’Hiver sous les traits d’une noble jeune femme réchauffant ses mains au-dessus d’un brasier. L’œuvre ne séduit pourtant pas le musée qui ne manifesta alors aucune volonté d’acquisition. Occasion manquée certes, mais qui permit néanmoins au Rijksmuseum d’acquérir plusieurs décennies plus tard une œuvre quasi-identique et d’une facture bien plus élégante, qui constitue aujourd’hui l’un des incontournables des collections.

Peintre du Siècle d’Or néerlandais, originaire d’Alkmaar et né en 1617, Caesar Boetius van Everdingen rencontre un franc succès en tant que portraitiste, peintre de grands décors et peintre d’histoire. Parmi ses réalisations les plus remarquables figure le plafond monumental du Palais des États de Frise à Leeuwarden (1657-1660), où il déploie une composition grandiose exaltant les vertus civiques et la puissance de la République des Provinces-Unies.
Le jeune Van Everdingen débute sa formation artistique dans sa ville natale auprès de Jan van Bronckhorst (vers 1603-1661), avant de poursuivre son apprentissage à Utrecht, où il intègre la Guilde en 1632. C’est dans cette ville qu’il découvre l’œuvre de Jan van Bijlert (vers 1597-1598 - 1671), dont l’influence marque ses premières compositions. Son parcours le mène ensuite à Haarlem, où il séjourne de 1645 à 1650, avant de s’établir un temps à Amsterdam. Finalement, il revient à Alkmaar, où il achève sa carrière.
Reconnue de son temps, longtemps oubliée par la postérité, son œuvre a bénéficié d’un lent retour en grâce. Ce dernier fut facilité par la tenue à Rotterdam et à Francfort de l’exposition Dutch Classicism in Seventeenth century Painting organisée sous l’impulsion d’Albert Blankert en 1999-2000, puis par la publication du catalogue raisonné de l’œuvre de Van Everdingen par Paul Huys Janssen en 2002. Ce dernier dénombre soixante-et-une peintures identifiées et reconnues comme autographes, bien que l’on estime l’ensemble de sa production picturale à environ une centaine de toiles. L’intégralité des dessins de Van Everdingen semble avoir disparu, à l’exception d’un unicum, conservé au Stedelijk Museum d’Alkmaar, seul témoignage graphique connu de la main du maître. Plus de la moitié de ses œuvres se trouvent encore aux Pays-Bas. Si le nom de Caesar van Everdingen reste moins connu que celui de ses contemporains, tels Rembrandt, Johannes Vermeer, Jan Steen ou Frans Hals, il fut pourtant l’un des peintres les plus appréciés et talentueux du Siècle d’Or néerlandais.
Œuvre des débuts de l’artiste, peinte lors de son séjour à La Haye, L’Allégorie de l’Hiver pourrait constituer, selon Eddy Schavemaker, le pendant de la plus célèbre Jeune femme au grand chapeau, elle aussi conservée au Rijksmuseum. Exécutée sur toile autour de 1644-1648, la peinture captive et intrigue celui qui la regarde. Sur un arrière-plan neutre et dépouillé de tout ornement, se détache la figure monumentale d’une jeune femme richement vêtue, le visage penché au-dessus des mains qu’elle tente de réchauffer. Les traits sont doux, les arcades sourcilières sont creusées, le nez est long et légèrement pointu, les joues sont potelées, la bouche est fine et rosée. À la fois pensive et détachée, la jeune femme semble figée dans le temps, comme l’hiver immobilise le paysage jusqu’au retour du printemps. La scène semble se dérouler dans un intérieur modeste, et les quelques braises encore incandescentes semblent peiner à subsister.
Van Everdingen représente une jeune femme issue d’un milieu bourgeois, parée de sa cape de satin bordée d’hermine, de sa chemise, de ses cols et de sa coiffe en dentelle, ainsi que de ses plus beaux bijoux : collier de perles et boucles d’oreilles en or ornées de camés. Le cadrage est resserré, la figure monumentale. La lumière diffuse et froide adoucit la composition et attire l’attention sur la simplicité de la scène et sur la beauté du modèle, solution plastique que Vermeer développa par la suite dans sa Jeune Fille à la perle (1655). Everdingen réalise ici un véritable tour de force dans le rendu des matières, talent qu’il intégra dans ses peintures mythologiques et historiques en accordant une grande importance aux petites natures mortes qui les complétaient.
Dans la Hollande prospère du XVIIe siècle, l’habillement est un marqueur social fondamental, reflétant à la fois l’aisance financière et la moralité du sujet. Si les étoffes précieuses et les ornements somptueux sont tolérés dans la bourgeoisie marchande, ils doivent s’accorder à une certaine retenue, conforme aux principes calvinistes qui prônent la modestie. Le soin apporté au rendu des étoffes est quant à lui emblématique du Siècle d’Or néerlandais. Ici, la lourdeur satinée du manteau contraste avec la délicatesse de la coiffe en dentelle, finement ajourée, et l’éclat des perles qui captent la lumière. Tout, dans cette composition, témoigne d’un art du détail, où la richesse des tissus n’est pas un simple ornement mais un véritable langage pictural. Comme chez Frans Hals ou Rembrandt, le vêtement devient ici un moyen d’exprimer le rang social, la sensualité et même l’intemporalité du sujet. Van Everdingen, en excellent coloriste, joue avec les reflets soyeux, assouplit les plis du tissu et atténue les ombres, créant une harmonie subtile entre le modelé du visage et la douceur des textiles. Moins à l’aise dans la représentation de l’anatomie humaine - comme en témoignent plusieurs de ses toiles -, le peintre contourne cette difficulté en ne représentant que le visage de sa figure, en dissimulant les mains sous une étoffe et les bras sous une somptueuse capeline.
À la mort de Van Everdingen en 1678, fut dressé un inventaire constituant aujourd'hui notre source la plus précieuse sur son œuvre. Parmi la liste des peintures qui y étaient inscrites, figuraient deux toiles intitulées L’Hiver. Il semble qu’elles correspondaient respectivement à la peinture vendue par Vitale Bloch à la Southampton City Art Gallery, ainsi qu’à celle acquise par le Rijksmuseum ; la première étant désormais considérée comme une œuvre d’atelier, en partie exécutée par les élèves de Van Everdingen. La présence de sujets allégoriques dans la carrière de l’artiste reste toutefois assez faible, et on ne lui connait qu’une autre représentation de ce type : une Allégorie de la fabrication du vin.
Dès la seconde moitié du XVIe siècle, le genre allégorique se développe et se popularise dans les Pays-Bas. La formule iconographique alors en vogue pour personnifier l'hiver consistait à représenter un vieil homme ou une femme âgée se réchauffant les mains au-dessus d’un brasier. Solution adoptée par de nombreux artistes comme Hendrick Bloemaert dans ses Allégories de l’Hiver, que Van Everdingen a peut-être vues lors de son séjour à Utrecht. Dans son tableau, Van Everdingen développe une nouvelle formule déjà en germes chez Bloemaert, plus audacieuse par sa signification sous-jacente : la figure âgée cède sa place à une jeune femme, le brasier évoque l’amour et la passion, la possibilité d’un renouveau rendu possible par la chaleur des corps et des cœurs. Aucun document ne permet d’attester de cette hypothèse mise en lumière par plusieurs historiens de l’art, mais il faut tout de même reconnaître que le rapprochement est séduisant, puisqu’il rappelle la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps.
Si Pieter Brueghel l’Ancien et Jacob van Ruisdael ont su capturer la rudesse et la mélancolie de l’hiver, Van Everdingen en propose une vision tout autre, plus intime et idéalisée. Chez Brueghel, l’hiver est une scène de vie, un décor animé où chasseurs, patineurs et paysans affrontent le froid, témoignant du quotidien des provinces du Nord. Ruisdael, quant à lui, fait du paysage hivernal un théâtre de solitude et de mélancolie, où les ciels pesants et les arbres dénudés traduisent une nature impitoyable. Van Everdingen s’éloigne de ces visions pittoresques et narratives pour livrer une interprétation plus abstraite et allégorique de la saison. Loin des vents glacés et des étendues enneigées, il personnifie l’hiver sous les traits d’une jeune femme élégante, enveloppée de soieries et d’hermine, concentrant toute l’attention du spectateur sur la figure et non sur son environnement. Le froid n’est plus une contrainte mais un prétexte à la contemplation. Dans un cadre épuré, dénué de tout élément extérieur, le peintre joue sur la douceur des matières et l’éclat tamisé des perles et des dentelles, mettant en scène un hiver figé dans l’éternité, bien plus proche du classicisme hollandais que du naturalisme flamand.

Avec son Allégorie de l’Hiver, Van Everdingen signe une œuvre originale et envoûtante, dans laquelle il dépasse la simple représentation saisonnière pour toucher à l’intemporel. Plus qu’un hommage à l’hiver, cette peinture est une célébration du raffinement et du mystère, où chaque pli de tissu et chaque reflet perlé révèlent la maîtrise d’un artiste trop longtemps éclipsé. Van Everdingen retrouve aujourd’hui la place qui lui revient parmi les grands maîtres du Siècle d’Or néerlandais sur les cimaises du Rijksmuseum.
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