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L'exposition Motais de Narbonne à la Fondation Bemberg


Josué arrêtant le soleil de Carlo Maratta.

« Une collection, c'est avant tout des collectionneurs ». La formule de la commissaire d'exposition Olivia Voisin convient tout à fait pour décrire la collection de Guy et Helena Motais de Narbonne, exposée à partir du 22 février et jusqu'au 2 juin 2019 à la Fondation Bemberg à l'hôtel d'Assézat.

Les 79 peintures et 2 dessins qui composent la collection Motais de Narbonne sont donc dévoilés au public toulousain pour la toute première fois. En partie exposées au Louvre en 2010, les toiles ont quitté l'appartement parisien des Motais de Narbonne en septembre dernier pour venir s'installer au musée d'Orléans afin de célébrer les 30 ans de la collection. C'est donc désormais à la Fondation Bemberg que ce magnifique ensemble de tableaux français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles est ouvert au grand public.


L'accent est mis sur la sobriété scénographique.

Le parcours muséographique se décline en 8 étapes intitulées de la sorte : La naissance d'une collection, Le détail insolite, Ténèbres, Lumière, Sujets savants, Dialogue silencieux, Les musées en modèle et Le goût de l'attribution. Le visiteur est invité à découvrir la collection à travers une scénographie épurée, réalisée par Nathalie Crinière et Maëlys Chevillot de l'Agence NC. Choix fort et remarquable: il n'y a pas de cartel. Les traditionnels panonceaux accrochés au mur vers lesquels l'observateur doit sans cesse se pencher pour trouver les informations relatives à une œuvre ont ici été remplacés par un livret distribué à l'entrée de l'exposition. Un numéro référence les huiles, parmi lesquelles certaines sont classées comme « chef-d'oeuvre », incitant alors le visiteur à les contempler plus attentivement. Guy et Helena ont par ailleurs choisi chacun cinq « coups de cœur » qu'ils commentent avec passion.

Le couple entretient en effet une relation intime avec ses tableaux. Pierre Rosenberg, parrain de l'exposition, a souligné la rareté du fonctionnement des Motais de Narbonne, qui effectuent tous les choix vis-à-vis de la collection à deux. Celle-ci n'existe que par la passion commune de la peinture qui unit Héléna et Guy. L'achat d'une toile ne se concrétise pas s'il elle ne fait pas l'unanimité, et les heureuses élues intègrent alors une famille au sein de laquelle on compte seulement deux reventes depuis l'achat initial du Judith et Holopherne de Mazzanti en 1988.

Un Docteur de l'église orientale (?), Saint Diacre attribué à Ribera.

Le goût très sûr des Motais de Narbonne révèle donc une connaissance empirique de la peinture et un amour réel pour leurs toiles. Ni l'attribution d'un tableau ni sa côte ne pèsent dans l'esprit des collectionneurs au moment d'enchérir, même si le couple essaie de ne posséder qu'une seule réalisation par maître. Une tentative souvent mise à mal par les ré-attributions récurrentes des historiens de l'art invités régulièrement chez les Motais de Narbonne pour ausculter leur collection. Un Docteur de l'église orientale (?), Saint Diacre traduit bien la fragilité de certaines paternités. Autrefois attribué à Vélazquez, il a ensuite été rattaché à Spadarino avant d'être maintenant considéré comme exécuté de la main de Ribera jeune.



A défaut de leur auteur, c'est souvent une singularité dans leur traitement qui relie les œuvres de la collection entre elles. Comme le détail de la couleur bleue du perizonium qui ceint la taille du Christ mort pleuré par les anges de Giuseppe Bazzani, ou encore l'expression enivrée de Simon Vouet dans son Autoportrait qui "après une nuit à boire avec ses copains, rentre chez lui à 4 heures du matin et se dit qu'il faut se remettre à travailler" d’après l'interprétation d'Héléna. Coup de cœur de sa propriétaire, ce portrait est d'ailleurs l'une des plus belles pièces de la collection.


David tenant la tête de Goliath, Anonyme.

Le David tenant la tête de Goliath traduit quant à lui le mieux le rôle actif joué par les Motais de Narbonne envers leur collection. Tout d'abord attribuée à Nicolas Régnier, cette oeuvre n'est désormais plus considérée comme étant peinte de sa main, grâce à l’œil observateur de Héléna. « Le David me faisait penser à un garagiste qui nous a fait le plein un soir dans la banlieue d'Anvers. Je lui trouve des airs de Jacques Brel. » Cette comparaison a permis de lancer la piste du Nord de l'Europe, et le regard des historiens d'art se tourne désormais vers Utrecht où une ré-attribution pourrait bien être confirmée au bénéfice d'un peintre flamand ayant vécu à Rome vers 1630 et influencé par le Caravage.


La commissaire d'exposition entourée de Guy et Héléna Motais de Narbonne.

Le thème de la violence fait son apparition à de multiples reprises dans la collection des Motais de Narbonne. Ces derniers sont notamment marqués par la candeur de ce David, qui paraît tout étonné et fier de ce qu'il vient d'accomplir. Dans le Thomyris faisant plonger la tête de Cyrus dans le sang de Mattia Preti, le couple préfère retenir la douceur qui se dégage de la scène. Même constat dans La Mort d'Arria de Antoine Rivalz où Arria semblant dire à Paetus « mais non, cela ne fait pas mal » selon Héléna, alors même qu'elle se poignarde. Ce goût pour des sujets violents représentés avec légèreté figure déjà dans le Judith et Holopherne de Mazzanti que les Motais de Narbonne n'hésitent pas à accrocher au-dessus de leur lit dans leur appartement.


Autoportrait, Simon Vouet

A travers cette exposition les Motais de Narbonne partagent donc 30 ans d'acquisitions aux quatre coins du monde. Sans cesse à la recherche de nouvelles œuvres, Guy et Héléna viennent de s'enticher d'un Moïse sauvé des eaux attribué à Alessandro Gherardini et acheté il y a quelques semaines à Vienne. Et avec un rythme de plus de deux acquisitions par an depuis trois décennies, le couple ne compte pas s'en tenir là.


Leur collection en perpétuelle expansion s'impose ainsi comme l'une des plus belles d'Europe sur la période avec des toiles signées Vouet, Mignard, ou encore le Guerchin. Cette exposition représente donc une occasion unique d'admirer une telle série de peintures religieuses classiques. "Plus passeurs que collectionneurs" à leur yeux, Guy et Héléna Motais de Narbonne font en tout cas le bonheur des néophytes et des passionnés grâce à cette exposition exceptionnelle accueillie par la Fondation Bemberg.


Antoine Bouchet

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