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« L’Athènes du Nord » : Edimbourg rêvée par l’Enlightenment


Vue sur la vieille ville d'Édimbourg depuis Calton Hill, avec le Dugald Stewart Monument au premier plan. Source: Viator.

“Half a capital and half a country town, the whole city leads a double existence; [...] it is half alive and half a monumental marble.” *

– Robert Louis Stevenson, Edinburgh: Picturesque Notes, 1878.


*« À demi capitale et à demi provinciale, la ville toute entière mène une double existence; [...] elle est à demi vivante et à demi monument de marbre. »



De prime abord, comparer Édimbourg, capitale de l’Écosse, avec Athènes, celle de la Grèce, semble des plus surprenants. Pourtant, c’est bel et bien cette analogie qui s’est progressivement installée à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Et à y regarder de plus près, on constate que le Greek Revival a en effet laissé une emprunte durable sur la ville. « Athènes du Nord », « Nouvelle Athènes » : Explorons quels enjeux urbanistiques, artistiques et politiques se cachent derrière cette hellénisation incongrue.


Carte postale donnant une vue imaginaire d'Édimbourg avec le bureau de poste, Register House et Calton Hill. Tiré de “Souvenir of Scotland: its Cities, Lakes, and Mountains.”, 1889. Source: Frontispiece maps.


Les prémices du XVIIIe : Lumières sur la ville


Au XVIIIe siècle, la ville est en pleine ébullition intellectuelle et abrite bon nombre d’acteurs phares de l’Enlightenment – pendant Anglais du mouvement des Lumières – comme Adam Smith ou David Hume. Certains y voient, avec plus ou moins d’ironie, une conséquence du départ des aristocrates pour Londres après la signature par les parlements Anglais et Écossais de l’Act of Union en 1707 qui donne naissance au Royaume-Uni de Grande-Bretagne. D'autres font éclore ce bourgeonnement intellectuel dans les réformes éducatives de John Knox (1514-1572). Ce qui est certain, c’est que dès cette époque, la houleuse question de l’Indépendance de l’Ecosse est au menu et Édimbourg tente de se positionner comme un timide contre-pouvoir par rapport à Londres, dépassant le statut de simple ville de province inféodée au pouvoir central. La ville veut être à Londres ce qu’Athènes était à Rome : la capitale culturelle, tandis que Londres serait une capitale politique.


Henry G. Duguid, Head of the West Bow, Edinburgh, 1881. Scottish National Gallery of Modern Art.

À ce titre, des modernisations urbanistiques et architecturales s’imposent. Le cœur de ville est alors encore organisé autour d’une unique voie centrale, la Royal Mile, qui se ramifie en d’étroits passages, lanes, wynds et closes, difficiles d’accès et densément peuplés.


William Edgar, Plan d'Édimbourg, 1742, National Library of Scotland.

Un des chantiers à ce moment consiste à assainir les zones marécageuses du North Loch et à les lotir. Le plan rectiligne choisi est en harmonie avec les rêves de logique, de raison et de symétrie de l’époque. Le projet retenu en 1766 a une symbolique forte : l’idée est de renforcer les liens au sein du Royaume-Uni, seulement 20 ans après la dernière tentative d’insurrection Jacobite. Les noms de rue font référence aux membres de la Couronne Britannique, comme Charlotte street, en référence à la reine consort. Quant aux squares à chaque extrémité, ils portent les noms des Saints Patrons de l’Angleterre et de l’Écosse : St George et St Andrews.


James Craig, Plan de la nouvelle ville d'Edimbourg, 1867, National Library of Scotland. Cette portion de la ville se construit au nord de la vieille ville et Prince's street fait office de démarcation entre les deux ensembles urbanistiques.

Robert Adam, The General Register House, 1788. Source: Wikipedia.

Robert Adam (1689-1748), architecte phare de l’époque dont les maîtres-mots sont unité et classicisme met également le pied à l'étrier. Il souhaite transformer la Royale Mile en grande via triumphalis et faciliter la circulation dans cette ville à la topographie très accidentée en ajoutant des arcs. Il fait de la Register House (Scottish National Archive) un Panthéon revisité. L’idée est aussi d’aménager la ville de telle sorte qu’on y entre par le sud. Le corollaire d’une telle circulation ? On quitterait Londres pour aller à Édimbourg plutôt que l’inverse.



Le tournant des années 1820 : la mode du Greek Revival


Entre la fin des Guerres Napoléoniennes et le début de l’Ère Victorienne, l’Europe partage un enthousiasme renouvelé pour la Grèce. Ce goût qui éclot cinquante ans plus tôt en France prend une autre tournure avec l’émergence des Nations mais aussi avec la Guerre d’Indépendance Grecque qui débute en 1821.

À Édimbourg, c’est plutôt la version Antique qui continue de fasciner et finit par donner vie à des changements importants dans le courant des années 1820, notamment sous l’impulsion de Hugh William Williams (1773-1829). Ce peintre de paysage effectue son Grand Tour entre 1817 et 1818. En 1822, il décide de faire une exposition à Édimbourg pour présenter les œuvres qu’il a peintes en Grèce puis de publier ses aquarelles. Rapidement surnommé « Grecian Williams », il appelle de ses vœux une émulation avec la cité Antique :

« Est-ce trop demandé que de vouloir qu’un facsimile, ou une restauration du Temple de Minerve couronne Calton Hill, monument qui montrerait aux âges futurs non seulement la gloire militaire, mais aussi le goût distingué de notre pays aujourd’hui ? Est-ce trop demandé que de s’attendre à ce qu’un patronage éclairé fasse appel au génie, comme chez les Anciens, et qu’il pousse nos talents vers des efforts similaires à ceux qui ont donné lieu aux splendeurs de l’Âge de Péricles ? » - Williams, Travels, vol. 2, 419-420.
Hugh William Williams, Vue d'Athènes avec l'Acropole en arrière-plan, aquarelle, vers 1817-1818, collection particulière.

Le rapprochement avec Athènes est facilité par la topographique : les deux villes sont nichées entre mer et montagne et sur le plan urbanistique, « Édimbourg présente un modèle très fidèle de cité grecque avec son Acropole, son bourg, et son port ; il comporte quelque ressemblance avec Athènes et le Pirée. » (Edward Daniel Clarke, Travels in Various Countries of Europe, Asia and Africa, vol. 6, 378.)

Le projet principal consiste à déplacer le centre névralgique de la ville du château vers Calton Hill, qu’on veut transformer en nouvelle Acropole. En 1816, la ville lance un concours pour la réalisation d’un National Monument qui rendrait hommage aux Écossais tombés pendant les Guerres Napoléoniennes. Parmi les propositions, nombreuses sont celles qui s’inspirent du Panthéon, des Invalides ou du modèle Romain de l’Arc de Triomphe. C’est finalement une réplique du Parthénon qui emporte les suffrages. Le projet est proposé par C. R. Cockrell (1788-1863) et W. H. Playfair (1759-1823), deux architectes très prolifiques et spécialisés dans le Greek Revivial. La construction débute en 1822 mais est abandonnée en 1829, alors que seules douze colonnes se dressent sur la colline, faisant du monument une ruine pittoresque dès sa naissance. La Royal High School (1825-29), édifice aux airs de Propylée vient se loger sur la colline, accentuant la ressemblance avec l’Acropole.


Vue de Calton Hill, avec la Royal High School au premier plan et à l'arrière plan, le Nelson Monument (à gauche), en forme de télescope retourné et le National Monument (à droite). Source: Murdo MacLeod/The Guardian.


Rivalités Londoniennes et éclectisme


Face à l’échec du nouveau Parthénon et devant ces transformations, les critiques ne tardent pas à pleuvoir :

« Vous vous faites appeler Athéniens alors que vous ignorez complètement ce que les Athéniens estimaient digne d’être connu. […] L’Athènes Moderne, Monsieur ! Cette idée est un affront personnel envers tout homme qui a Sophocles dans sa bibliothèque. » - McKean, Edinburgh, 171.
David Octavius Hill et Robert Adamson, The Sir Walter Scott Monument, photographie sur papier salé, 1845, Scottish National Gallery of Modern Art.

Si les critiques viennent souvent de Londres, elles naissent aussi de l’intérieur. Nous sommes alors en pleine création d’une mythologie nationale et les inspirations extra-écossaises ne sont pas vues d’un bon œil par tous. Le mythe d’Ossian, « redécouvert » dans les années 1760, devient peu à peu un classique et l’écrivain Walter Scott est en passe de devenir un héros national, en témoigne le monument érigé en son honneur en 1840-46. De plus, le Greek Revivial est d’abord vu comme une passion Anglaise, ce qui constitue pour beaucoup un motif de rejet supplémentaire.

En outre, il faut réviser l’idée d’une ville qui se convertit entièrement à l’hellénisme à cette époque. La vie culturelle est alors certes nourrie par l’actualité archéologique mais est également influencée par la vogue du pittoresque et interprète donc le Greek Revivial au prisme du Romantisme et d’un Moyen-Âge fantasmé. Calton Hill, comme le reste de la ville, en est le témoin : loin d’une ville à la Grecque, il s’agit bien davantage d’un joyeux mélange de styles, traces émouvantes de l’enthousiasme qui a animé ses architectes et penseurs.

 

Bibliographie :


Lowrey, John. “From Caesarea to Athens: Greek Revival Edinburgh and the Question of Scottish Identity within the Unionist State.” Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 60, no. 2, 2001, pp. 136–57. JSTOR, https://doi.org/10.2307/991701.


McKee, Kirsten Carter. “The genius loci of the Athens of the North: The Cultural significance of Edinburgh’s Calton Hill.” Garden History, vol. 43, 2015, pp. 64–69. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/26589592.


Naik, Anuradha. Stewart, Margaret. “The Hellenization of Edinburgh: Cityscape, Architecture, and the Athenian Cast Collection.” Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 66, no. 3, 2007, pp. 366–89. JSTOR, https://doi.org/10.1525/jsah.2007.66.3.366.



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