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Julia Margaret Cameron, I Wait (Rachel Gurney), 1872


D'un cadre vaporeux se dégage l’air mélancolique d’une petite fille, la mine presque boudeuse, la tête reposant dans ses bras croisés, ne semblant guère amusée du fait d’avoir été parée de lourdes ailes de cygne. Cette petite fille aux airs de putto raphaélesque, Rachel Gurney, n’est autre que la nièce de celle que certains considèrent comme la plus grande photographe portraitiste britannique de son temps : Julia Margaret Cameron (1815-1879).


De ce portrait allégorique nous discernons à peine plus les détails des plumes et des cheveux que les défauts de l’image. Voilà l’esthétique propre à cette photographe qui commença sa pratique du nouveau médium, alors coûteuse, chronophage et dangereuse en raison de la manipulation de certains produits, lorsque sa fille, Julia, lui offrit un boîtier photographique coulissant de format 10x12, accompagné de ce message :

      « Dans l’espoir, chère Maman, que tu pourras te divertir en prenant des photographies    

      pendant tes jours de solitude à Freshwater »




Cameron est alors âgée de quarante-huit ans. Elle ne se séparera plus jamais de ses appareils. Son oeuvre, empreinte de symbolisme, est nourrie des arts graphiques et littéraires qu’elle puise dans la culture de son milieu aristocratique. Alors que depuis les expériences de Nicéphore Niépce (1765-1833) aboutissant à l’annonce officielle de l’invention de la photographie en 1839, les recherches ne tendent qu’à abaisser les temps de pose, la manière de Cameron est presque insolente. Elle utilise volontairement des poses longues favorisant un flou généralisé dont elle se fait l’apôtre, tout comme elle ne cherche pas à éviter les défauts du médium, allant jusqu’à laisser ses empreintes de doigts sur la plaque photographique. Au travers de cette expression elle cherche à imposer la force créatrice de l’être humain, s’opposant à la prétendue automaticité du médium, préférant risquer un bel échec plutôt que d’esquiver un défi. Elle se fait pionnière, presque malgré elle, de la revendication de la photographie en tant qu’art. Cela s’observe également par les formats hors normes qu’elle emploie, ici de 32.7 sur 25.4 cm, bien loin du format carte-de-visite (5.2 cm sur 8.7 cm) d’Eugène Disdéri (1819-1889) déferlant sur la Grande-Bretagne dans les années 1860.




Si ses compositions et iconographies sont souvent proches des préraphaélites, déployant des sujets sacrés ou légendaires, figures bibliques ou épisodes de légendes médiévales (The Parting of Lancelot and Guinevere, 1874), en tant qu’artiste éclairée Cameron est en capacité de puiser ses sujets non seulement dans l’art qui lui est contemporain mais aussi dans l’art ancien. Ici nous reconnaissons bien la pose et l’expression reprise de l’un des deux putto de la Madone Sixtine de Raphaël, vers 1513. Aussi par le cadrage resserré, qui est une innovation que nous lui devons, elle éclipse le prosaïque, nous élevant vers l’idéal depuis le réel. Elle n’hésite pas à entacher ses portraits merveilleusement composés des imperfections dues au médium, donnant corps à l’objet photographique trop souvent assimilé à l’image vraie, extraite du réel, sans défaut ni mensonge. Elle n’est pas là pour renseigner mais s’efforce de ne jouer que des qualités intrinsèques du médium (naturel de la pose, laisser-aller passager, rendu atmosphérique), sublimant l’apparente automaticité qu’elle condamne chez ses pairs.




Julia Margaret Cameron est en quelque sorte l’une des pionnières de la photographie amateur en son sens du XIXème siècle, c’est-à-dire de connaisseur passionné, de personne de goût, et non dans son sens actuel qui caractérise le manque de rigueur. L’artiste s’adonne à une photographie désintéressée au sein de son cercle familial et amical. Ce type de pratique se développera d’autant plus à sa suite et notamment au tournant du siècle chez les photographes pictorialistes qui lui emprunteront également l’adoucissement de l’image, les références artistiques et littéraires, les grands formats ou encore le symbolisme. Ces photographes-artistes lui rendront de vibrants hommages tel que dans la revue photographique d’Alfred Stieglitz (1864-1946), Camera Work, vitrine du mouvement, comme en témoigne le numéro 41 de janvier 1913 qui lui est consacré.



Adriana Dumielle-Chancelier

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