Et toy, Jehan Hay ta noble main chomme-elle ?
Vien voir Nature avec Jehan de Paris,
Pour lui donner umbraige et esperitz,
Jean Lemaire de Belges, La Plainte du Désiré, 1504
Différents noms ont été, sans grand succès, associés au Maître de Moulins, peintre de grande importance de la fin du XVe siècle à l’origine du Triptyque de la Vierge en gloire, aujourd’hui installé dans la cathédrale de Moulins : ainsi a-t-il été identifié successivement à Jean Bourdichon, Jean Perréal et Jean Prévost. Jean Hey, cet artiste évoqué par Jean Lemaire de Belges en 1504, est aujourd’hui rapproché de manière convaincante du célèbre maître. Toutefois, sa vie reste très peu documentée et nous est presque uniquement connue par sa production artistique, s’étirant sur une vingtaine d’années.
D'abord peintre de Charles II de Bourbon, archevêque de Lyon et évêque de Clermont, il entre à la fin des années 1480 au service de Pierre II de Bourbon et Anne de Beaujeu, fille de Louis XI et sœur du roi Charles VIII, à Moulins. Cela ne l’empêche pas de voyager, peut-être prêté par ses protecteurs. Il se rend ainsi en Touraine, à Blois ou Amboise, pour réaliser le portrait du Dauphin Charles-Orland, aujourd’hui conservé au musée du Louvre. Mais ses déplacements sont complexes. Il semble notamment œuvrer dès 1480 à Autun.
Fig : Jean Hey, Triptyque de Moulins ( Détail. Pierre II de Bourbon). Vers 1500. Moulins, Cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation ©NB
Une œuvre clé : l’Ecce Homo commandé par Jean Cueillette
Une œuvre en particulier a joué un rôle majeur dans l’avancement des études menées sur le peintre par Nicole Reynaud et Charles Sterling dans les années 1970 : un Ecce Homo réalisé en 1494 et conservé aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Le revers du tableau comporte une longue inscription ayant permis l’apport de plusieurs informations d’importance :
« Magister Johannes Cueillete etatis 04 annorum, notarius et secrettarius regis Karoli octavi, hoc opus insigne fieri fecit per Magister Johannem Hey, teutonicum pictorem egregium, 1494 »
Fig : Jean Hey, Ecce Homo. 1494. Musées royaux des beaux-Arts de Belgique
Ces quelques mots nous renseignent tout d’abord sur la main à l’origine de cette réalisation: celle de Jean Hey. Il s’agit là de la seule oeuvre signée par l'artiste. Ensuite, le terme « teutonicus » semble invoquer une origine flamande. Enfin, le nom du commanditaire apparaît: un certain Jean Cueillette - Jean V Cueillette pour être exact - mentionné dans les sources comme « argentier et secrétaire de monseigneur de Beaujeu » de décembre 1482 à 1488, avant d'être nommé « conseiller, trésorier et receveur général de toutes les finances du duc de Bourbon » dès l'avènement de Pierre II aux duchés de Bourbonnais et d'Auvergne le 2 juin 1488. Issu d’une famille connue dans le secteur de Tours, Blois et Vendôme depuis le XIVe siècle, il exerça la charge de trésorier ducal probablement jusqu'à la fin de 1496. Ce même Jean V Cueillette fut également maire de la ville de Tours de 1511 à octobre 1512 et contrôleur général des finances en Languedoc jusqu'en décembre 1520.
Il est donc acquis que cet homme, d’une certaine importance, était au service des Bourbons à Moulins au moment de la commande en 1494, passée auprès de Jean Hey. Ce dernier serait alors, par déduction, le peintre de Pierre II de Bourbon, à savoir le fameux Maître qui réalisa le Triptyque vers 1500. De plus, on trouve dans les comptes de 1502-1503 des ducs de Bourbon un « Maître Jehan le paintre » parmi les officiers domestiques désirant être exemptés d’impôts, élément qui appuie un peu plus l’identification de Jean Hey au Maître de Moulins. Enfin, Jean Lemaire de Belges, qui, comme nous l’avons vu en préambule, rapproche le nom de Jean Hey de celui de Jean de Paris, c’est-à-dire Jean Perréal (longtemps associé à la figure du maître de Moulins) dans sa plainte du Désiré, avait sans aucun doute connu cet artiste. Il était en effet, par sa fonction de clerc des finances de Pierre II de Bourbon en 1498, un familier de la cour moulinoise.
Il faut tout de même évoquer Albert Châtelet qui, dans deux articles respectivement datés de 2001 et 2003, réfute le rapprochement de Jean Hey avec le Maître de Moulins. Il affirme notamment que la lecture de teutonicus est contestable. Pour lui, la première lettre ne ressemble pas à un t - il lui manque la traverse que ne remplace pas un très léger trait oblique attaché au sommet de la tige - mais plutôt au c de cum. Le mot pourrait donc se lire ceutonicus ou centoni- cus, car les u et les n, dans l'inscription sont strictement identiques. Aucune de ces lectures ne semble, à première vue, donner de sens. Toutefois, il poursuit en expliquant que la commune de Ceton était anciennement nommée Centon. Si cette forme a pu être encore employée, certes occasionnellement, au XVe siècle, un de ses habitants aurait pu être nommé centonicus. Or cette agglomération est située à une cinquantaine de kilomètres de Vendôme dont Jean Cueillette était bourgeois et à une centaine de Tours, ville dont, rappelons-le, il fut le maire. En outre on trouve dans une localité voisine, Mortagne, un Jehan Hay locataire d'un moulin dépendant du prieur de Chartrage en 1456. Albert Châtelet défend alors fermement l’idée d'un rapprochement de la figure du Maître de Moulins avec Jean Prévost, un artiste ayant travaillé pour Charles de Bourbon à Lyon (il en a d’ailleurs fait un ouvrage), reprenant ainsi une hypothèse avancée en 1946 par un archiviste de l’Allier, Paul Dupieux. De plus, Jean Hey présentait pour lui des origines tourangelles, évoquant une mention par le service de guet vers 1465 à Tours d’un certain « jannet hey ». Ces éléments ne sont aujourd’hui plus ou très peu considérés.
Concernant la facture de l’Ecce Homo, les rideaux rouges ouverts derrière la figure du Christ se posent en héritiers de van Eyck mais témoignent également d’une assimilation de l’art de Jean Fouquet. Le dessin oblique des yeux, le léger renflement des paupières inférieures et la construction du nimbe sont autant d’éléments qui justifient le rapprochement de Jean Hey avec le Maître de Moulins.
Un peintre venu du Nord
Jean Hey serait donc originaire des Flandres. Le peintre se serait formé à Gand dans les années 1470, dans le sillage voire dans l’atelier du maître Hugo van der Goes. La question de son arrivée en France reste en souffrance. Il est néanmoins certain que dès 1480, il se trouve dans la région d’Autun. Il exécute en effet pour Jean Rolin ce qui constitue encore le chef-d’oeuvre du musée Rolin : une Nativité. C’est la plus ancienne oeuvre du peintre connue à ce jour.
Fig : Jean Hey, La Nativité avec le portrait de Jean Rolin. Vers 1480. Musée Rolin, Autun ©NB
La Vierge, dont les traits se retrouvent assez distinctement sur le visage de la Vierge du Triptyque de Moulins, apparaît comme une jeune femme candide aux gestes d’une grande délicatesse. Elle est vêtue d'une robe étroite bleue, serrée aux manches, d'un manteau léger, coiffée d'un voile blanc. Ses mains élevées sont d'un dessin très précis. Devant elle, l'Enfant Jésus apparaît comme un véritable nouveau-né potelé. Les mains très fines et les plis inertes, passifs des drapés traités avec la plus grande minutie sont caractéristiques de la manière du peintre. Avec la Nativité de Jean Rolin, Hey livre véritablement une interprétation douce de la manière de van der Goes.
On date de cette même période, à savoir du début des années 1480, un dessin entré dans les collections du musée du Louvre en 1957. D'abord associée à Hugo van der Goes, cette Etude de femme vue de profil est aujourd’hui rendue à Jean Hey. Au vu du tracé sommaire et interrompu de la coiffe et du corsage, il fut un temps question d’une copie. Cependant, cette fragmentation du trait s'observe dans les dessins sous-jacents des œuvres du maître. En effet, des études radiographiques ont fait apparaître les retouches apportées par le peintre à ses esquisses. Les traits de cette femme sont très proches de ceux de la Vierge de la Nativité d’Autun.
Fig : Jean Hey, Etude de femme de profil. Vers 1480 ©NB
On retrouve ensuite Jean Hey au service de Charles II de Bourbon à Lyon, dont il réalise le portrait, probablement à partir de 1482. Peut-être a-t-il été recruté à la cour de Jean Rolin ? Un document des archives lyonnaises montre qu’il jouissait, en plus de celle de peintre, de la charge de « Procureur des Pauvres du Christ » (« procureur des causes pies »), fonction apparue au XIVe siècle en réponse aux grandes épidémies. Assisté de plusieurs clercs, cet individu veillait « à ce que tout testament comportât des legs pieux et à la bonne utilisation de ces legs. » Ce document, daté du 15 septembre 1488, débute ainsi :
« Vue la supplique formulée par maître Jean, peintre de feu monseigneur le cardinal, demandant à être rétabli dans ses fonctions de procureur des Pauvres du Christ »
Fig : Jean Hey, Portrait de Charles II de Bourbon. Vers 1482. Alte Pinakothek, Munich
Dans un texte relatif à cette fonction écrit en 1964, René Fédou relève quant à lui quelques noms de titulaires dont celui de Jean Hey pour l’année 1488. Maître Jean aurait donc été limogé quelques jours à peine après la mort de son protecteur, un fait révélateur de tensions entre les protégés du cardinal et le collège de chanoines de l’ancienne Lugdunum. Il quitte ensuite la cité avec d’autres artistes anciennement au service de Charles de Bourbon et disparaît des archives lyonnaises. Ces derniers vont offrir leurs services à son frère Pierre en Bourbonnais, à Moulins, siège d'une cour princière brillante au tournant du XVe siècle.
Mais si Jean Hey est bel et bien originaire des Flandres, a-t-il gardé des liens avec sa région natale ? Voilà la question posée par Pierre-Gilles Girault et Étienne Hamon dans un article de 2003. Un certain Jean Hay (ou Haye) apparaît dans les archives bruxelloises dans une liste d’hommes devenus bourgeois par mariage (poorter) en 1484. Il est également évoqué en 1491 comme héritier d’une maison dans la capitale brabançonne. Les auteurs défendent le fait que l'activité lyonnaise du peintre ne lui interdisait sans doute pas de rencontrer et d'épouser la fille d'un bourgeois bruxellois, de même qu'il ne lui était pas davantage nécessaire d'habiter Bruxelles pour que lui échoie en héritage une maison dans la ville. Mais ce Jean Hay ne peut être associé de manière certaine au peintre.
Le Maître de Moulins
Dès son arrivée à la cour de Pierre II de Bourbon et Anne de Beaujeu, Jean Hey œuvre sur le chantier de la collégiale de Moulins (aujourd'hui cathédrale et ce depuis 1823), dont la reconstruction a été amorcée en 1476. Trois verrières témoignent tout d'abord de son intervention et de ses liens avec le vitrail. On relève ainsi la grande verrière de l'Assomption de la Vierge, commande de Pierre et Anne (vers 1500), le vitrail dit de la famille Petitdé et le vitrail commandé vers 1500 par Charles Popillon, haut fonctionnaire ducal, président de la Chambre des comptes de Moulins de 1487 à sa mort en 1507. Concernant ce dernier, il reflète exactement le style du peintre, dont il est sans aucun doute l’auteur direct ou du carton ayant permis sa réalisation.
Fig : Jean Hey ou d'après un carton de Jean Hey, Verrière dite Popillon (détails.). Vers 1500. Moulins, cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation ©NB
Il réalise un retable dont deux volets (ci-dessous), représentant Pierre II de Bourbon avec saint Pierre, et Anne de Beaujeu avec saint Jean l’Évangéliste, sont aujourd’hui conservés au musée du Louvre. Ce retable revêtait probablement un caractère votif car potentiellement peint au moment où Pierre devint duc de Bourbon suite à la mort de son frère.
Fig : Jean Hey, Pierre II, sire de Beaujeu, duc de Bourbon, présenté par saint Pierre. Vers 1490-95. Musée du Louvre
Fig : Jean Hey, Anne de France, dame de Beaujeu, duchesse de Bourbon, présentée par saint Jean l'évangéliste. Vers 1490-95. Musée du Louvre
Il a souvent été avancé que ces deux réalisations conservées au Louvre constituaient les revers de deux autres panneaux mis en relation depuis fort longtemps : la Rencontre à la Porte Bourbon dorée avec Charlemagne, conservé à la National Gallery de Londres et l’Annonciation, conservé à l’Art Institute de Chicago (respectivement présentés ci-dessous). Charles Sterling et d'autres ont proposé de voir dans ces deux ensembles reconstitués les volets mobiles d'un triptyque à la partie centrale perdue.
Or, certains examens techniques ont notamment permis d'apporter un éclairage nouveau sur ces réalisations et leur assemblage originel. Les panneaux de Londres et Chicago ont largement été transformés au XIXe siècle. Ils ont en effet été amincis, parquetés et l'Annonciation a été altérée dans le but de la transformer en une peinture indépendante. Respectivement composés de quatre planches de chêne à fil horizontal, ces derniers ont, comme l'écrit Martha Wolff dans les actes du colloque consacré à Anne de France en 2012 à Moulins, sans aucun doute été découpés dans un seul et même retable. Cette affirmation s'appuie sur des examens scientifiques effectués par un biologiste spécialisé dans l'analyse du bois, Peter Klein. Ce dernier a établi que les même planches courent de façon continue au-delà de la partie centrale, donc sur les deux panneaux.
D'autre part, les radiographies effectuées sur l'Annonciation ont révélé des traces attestant de la présence d'un personnage vêtu d'une longue robe à gauche de la composition (zone altérée et en grande partie découpée sans aucun doute au XIXe siècle). Ce personnage faisait véritablement pendant au Charlemagne du tableau de Londres. Il pourrait s'agir de saint Louis, deuxième saint royal représenté de manière très récurrente sur les retables en Bourbonnais. Toujours d'après Martha Wolff, un élément clé semble être le morceau de drap rouge accroché sur le mur derrière Charlemagne. Il s'insérait probablement derrière les personnages représentés sur la partie centrale du retable et semblerait attester de la présence d'un trône ou d'un dais.
En définitive, les panneaux de Londres et de Chicago ne formaient pas les volets mobiles d'un triptyque et ne présentaient pas de revers peints. Il s'inséraient plutôt dans un retable de dimensions restreintes qui, par sa forme, était sans doute proche de la Crucifixion dite du Parlement de Paris du Maître de Dreux Budé conservée au musée du Louvre. Certainement peint dans les années 1490, ce retable fut peut-être commandé pour prendre place en la collégiale de Moulins, dans la chapelle « de la Sainte Conception de Notre-Dame », se rapportant à l'Incarnation et à l'Immaculée Conception. Quant au sujet de la partie centrale aujourd'hui perdue, il demeure un mystère. Albert Châtelet émit l'hypothèse d'une représentation de l'Assomption de la Vierge.
Fig : Jean Hey, La Rencontre à la Porte dorée avec Charlemagne. Vers 1490-95. National Gallery, Londres
Fig : Jean Hey, L'Annonciation. Vers 1490-95. Art Institute, Chicago
Si les éléments exposés induisent une meilleure compréhension des panneaux de Londres et Chicago, il semblent en revanche isoler les panneaux du Louvre évoqués plus haut. On rapproche aujourd’hui du panneau représentant Anne de Beaujeu le petit (16x26cm) Portrait d’enfant identifié comme étant leur fille Suzanne de Bourbon alors âgée d’un an, née en 1491. Ils sont d’ailleurs présentés côte à côte au deuxième étage de l’aile Richelieu, en salle 820 du musée du Louvre. Ce rapprochement tend à faire émerger la date de 1492 ou 1493 plutôt que 1488 pour les trois panneaux.
Fig : Jean Hey, Suzanne de Bourbon, dit enfant en prière. Vers 1492-95. Musée du Louvre
Les années 1490 correspondent à la période la plus féconde de l’artiste. Il réalise d’abord le Portrait de Marguerite d’Autriche enfant, alors promise au Roi de France, un joyau aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum of Art de New York. Le peintre aurait pu réaliser le dessin préparatoire lors de la venue de cette dernière à Moulins. Ce portrait légèrement idéalisé a été réalisé avant que Charles VIII ne la répudie pour épouser Anne de Bretagne. Elisabeth Taburet-Delahaye, Geneviève Bresc-Bautier et Thierry Crépin-Leblond, dans le catalogue de l’exposition France 1500 - Entre Moyen Age et Renaissance qui s’est tenue au Grand Palais du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, signalent en effet que la lourdeur de la lèvre inférieure, l'arrondi de la lèvre supérieure et l'importance du nez sont bien visibles sans être soulignés, mais qu’ils se fondent en une « élégante arabesque ». Ce portrait passait pour être celui de Jeanne la Folle dans la collection de Don Sébastien Gabriel de Bourbon et était attribué à Holbein l'Ancien. Il fut ensuite assimilé à Suzanne de Bourbon âgée de 12 ou 13 ans, induisant une datation aux alentours de 1503. Ces éléments s’appuyaient sur l’origine du tableau conservé dans la famille de Bourbon jusqu'en 1890 et le bijou en forme de fleur de lys accroché au cou de la jeune fille.
Fig : Jean Hey, Marguerite d'Autriche. Vers 1490. Metropolitan Musem, New York.
Vient ensuite l’année 1494 et la réalisation de l’Ecce Homo étudié plus haut. En décembre, il réalise le Portrait du dauphin Charles-Orland conservé au musée du Louvre (1 dans l'ordre du diaporama ci-dessous), fils de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, auparavant attribué à Jean Bourdichon. Pour ce faire, Jean Hey s’est forcément déplacé, le Dauphin ne pouvant être allé à Moulins. Il s’est donc rendu en Touraine, à Blois ou Amboise pour mener à bien sa réalisation. Cet épisode montre ce qui semble être un prêt par Pierre et Anne de Bourbon de leur peintre. Il réalise également un frontispice pour un manuscrit, le seul connu de sa main, des Statuts de l'ordre de Saint-Michel (2) que Pierre de Bourbon offre au roi de France (Bnf). Il peint toujours à cette même période un diptyque (ou triptyque) dont seul subsiste le volet gauche (3) aujourd'hui conservé au musée du Louvre, représentant Madeleine de Bourgogne, épouse du chambellan des Bourbons : Bompar de Laage.
Pierre II de Bourbon et Anne de Beaujeu entament, en 1497, des travaux dans leur château de Chantelle à côté de Moulins. Est érigée entre 1500 et 1503 une chapelle consacrée à saint Pierre au flanc nord de l’église Saint-Vincent de Chantelle. En tant qu’artiste des ducs, Jean Hey a certainement joué le rôle de décorateur de cette chapelle dans son intégralité, orchestrant le chantier en veillant à l’unité stylistique des vitraux, des peintures ainsi que des statues.
Il est fortement probable qu’il soit directement intervenu dans la conception d’un ensemble de sculptures exécutées pour l'occasion. Il s’agit de trois grandes statues retrouvées sur le site de Chantelle et aujourd’hui conservées au Louvre, représentant Saint Pierre, Sainte Anne éduquant la Vierge et Sainte Suzanne, patrons de Pierre II de Bourbon, d'Anne de Beaujeu et de leur fille unique Suzanne. Il a probablement fourni les patrons au sculpteur Jean de Chartres, « tailleur d’ymaiges de madame de Bourbon ». Ces réalisations présentent un lien étroit avec les figures du Triptyque de Moulins, que l'on a un temps cru être destiné à cette chapelle Saint-Pierre.
Fig : Jean de Chartres, Saint Pierre, Sainte Anne éduquant la Vierge et Sainte Suzanne. Vers 1500 ? Musée du Louvre
Abordons plus précisément ce chef-d'oeuvre réalisé en 1500. La présence de Suzanne âgée de neuf ou dix ans permet en effet de situer l'œuvre vers 1500-1501.
Fig : Jean Hey, Triptyque de Moulins. Vers 1500. Cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation de Moulins.
Sur le panneau central, la Vierge est représentée d'après le chapitre XII, verset 1 de l'Apocalypse. « Elle est vêtue de soleil, Elle a la lune sous les pieds, Elle a mérité d'être couronnée de douze étoiles. » Marie, assise, tient l'Enfant nu qu'elle regarde, arborant une robe bleue doublée d'hermine, un manteau de pourpre retenu par une tresse d'or terminée par trois volumineuses perles.
Cette sévérité des physionomies néanmoins teintée d'une grande douceur et l'absence de sourire des anges se retrouvent dans deux œuvres antérieures, dont l’une a été vue comme l’embryon du panneau central du Triptyque. Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant entourée de quatre anges (ici panneau de gauche) provenant de l’ancienne collection Huybrechts d’Anvers et aujourd’hui conservée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Ce panneau est daté des années 1492-93.
En l'opposant à la Vierge du Triptyque de Moulins (ci-contre), on constate que les mêmes modèles ont servi à composer la mère et l'enfant dans les deux tableaux. Quant aux anges, ils sont identiques dans les deux cas. Cette œuvre présente elle-même de fortes similitudes avec la Vierge à l’Enfant entourée ou adorée par les anges (ici panneau de droite) des collections de Jacques Bacri, acquise par le musée de Cluny en 2017. La composition est la même sauf qu’elle est inversée sur le tableau du musée parisien. Il est intéressant de noter la qualité inférieure de ce dernier, véritablement témoin du travail de l'atelier de Jean Hey et d'une production sans doute sérielle de diptyques ou panneaux indépendants à usage privé.
Enfin, la datation des trois dernières œuvres connues du corpus de Jean Hey est complexe, possiblement entre 1495 et 1500. Il y a d'abord le Saint Maurice (ci-contre) conservé au Kelvingrove Art Gallery and Museum de Glasgow. Longtemps l'identité du donateur est restée un mystère. Celui-ci ne s'est éclairé qu'en juin 2022 grâce à Bruno Amiot. Après plusieurs recherches, l'archiviste a pu identifier ce donateur : Jean de La Barre, qui fut entre autres trésorier du chapitre de Saint-Maurice d'Angers de 1491 à 1503.
Puis, deux panneaux de dimensions réduites (30 x 20 cm) sont conservés à l’Art Institute de Chicago. Mettant respectivement en scène saint Jean l’évangéliste et une Vierge de Douleur, les deux fragments appartenaient à un Portement de Croix, volet gauche d’un diptyque dont la partie droite était le panneau de Glasgow. La ligne d’horizon du paysage, continue aux trois morceaux, les analyses scientifiques (bois, dessins sous-jacents) induisent en effet une connexion entre les trois panneaux.
Fig : Jean Hey, Saint Maurice et Jean de La Barre. Vers 1500-1505. Kelvingrove Gallery, Glasgow
Fig : Jean Hey, Fragment d'un Portement de Croix : saint Jean l'Évangéliste. Vers 1500-1505. Art Institute, Chicago
Fig : Jean Hey, Fragment d'un Portement de Croix : Vierge de Douleur. Vers 1500-1505. Art Institute, Chicago
La fin de la vie de l’artiste n’est pas connue. Il disparaît après la mort de son protecteur Pierre II de Bourbon en 1503. Des zones d’ombres subsiste sur la vie et la production de ce peintre venu, comme nombre d'artistes alors, du Nord en quête de riches protecteurs. Des œuvres du maître, et de son atelier, sont sans doute encore à découvrir ou à identifier dans les collections de diverses institutions et collectionneurs. Un panneau de faibles dimensions représentant un ange, réapparu il y a peu, mériterait notamment une analyse approfondie.
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