Le nom de la maison Patou ne vous est peut-être pas inconnu, mais celui de son fondateur est quelque peu tombé dans l’oubli. Etonnant destin pour celui qui fut pourtant l’un des plus célèbres couturiers du début du siècle dernier. Dandy des temps modernes, amoureux des femmes, loué par la presse américaine comme « l’homme le plus élégant d’Europe », Jean Patou se hissa en l’espace de deux décennies à la tête d’un empire de la mode, affichant une conception bien singulière du métier de couturier et de la notion de modernité. Sa véritable nature d’esthète et son attrait pour les objets d’art le conduisirent à s’entourer des grands décorateurs et artistes de son temps.
« Être moderne ne veut pas dire qu’il faut tout bouleverser et révolutionner. Être moderne signifie simplement savoir vivre en harmonie avec son temps. »
Jean Patou dans Harper’s Bazaar, février 1926.
Né en 1887, Jean-Alexandre Patou, dit Jean Patou, évolue dans un milieu familial proche de la création avec un père tanneur de cuir de luxe et un oncle fourreur. Après s’être engagé dans l’armée, le jeune homme s’oriente tout naturellement vers le domaine de la mode et fonde sa première maison de couture « Parry » en 1910. Deux autres maisons suivront à deux ans d’intervalle. La troisième, à son nom, s’installe dans un charmant hôtel particulier de la rue Saint-Florentin, mais la Première Guerre mondiale vient interrompre son essor. De retour à Paris en 1919 et inspiré par les découvertes faites sur les fronts d’Orient et des Balkans, Jean Patou relance l’activité de sa griffe accompagné de sa sœur Madeleine et de son époux Raymond Barbas. Au début des Années folles, le couturier s’impose comme le principal concurrent de Chanel et de Lanvin.
Epris de mouvement et de vitesse, il imagine pour les femmes des collections aux allures sportives et décontractées, pensées aussi bien pour la ville que pour les loisirs. Ses créations, alliant goût du luxe et sens pratique, incarnent à merveille l’esprit de l’époque. Les salons de la maison attirent immédiatement le gotha parisien. En 1922, Patou fait de la championne de tennis Suzanne Lenglen son égérie, l’habillant sur le terrain d’une jupe plissée de soie blanche, d’un cardigan et d’un bandeau dans les cheveux. Cet ensemble confortable, en maille et jersey, devient l’uniforme de la jeune femme moderne. Bientôt, son rayon « Au coin des sports » sera l’un des plus fréquentés de la capitale. La presse qualifie Patou de « couturier sportif » et sa mode, marquée par l’influence sportive, est félicitée pour sa simplicité et la pureté de ses lignes.
« M. Jean Patou, qui s’était révélé depuis longtemps un grand couturier, a montré cette saison qu'il était également un fin psychologue. Il vit avec son temps, sans plaintes inutiles sur le passé, mais les yeux fixés sur l’avenir. Sa mode sportive actuelle est faite pour les cheveux courts, pour les jambes nues, pour les souliers à semelles épaisses et à talons solides. Elle est, comme il l’a voulue, confortable et chic. […] M. Jean Patou est resté un jeune couturier qui comprend bien la femme d’aujourd’hui »
Le Figaro, 31 août 1926.
En redoutable homme d’affaires, Patou multiplie les stratagèmes pour faire grandir sa maison. Dès 1924, ses initiales s’affichent comme une griffe identifiable sur les vêtements. La même année, le couturier a l’idée d’employer des mannequins américains afin de promouvoir ses créations outre-Atlantique.
La seconde moitié des années 1920 voit se multiplier les boutiques dans les lieux de villégiatures en vogue. Monte-Carlo et son casino ainsi que les stations balnéaires de Deauville, Cannes et Biarritz, attirent une clientèle fortunée. En 1925, Jean Patou assoit définitivement sa réputation en affichant la double carte de visite de couturier-parfumeur. Trois premières fragrances ainsi qu’un bar à parfums sont proposés aux clientes. Quelques années plus tard, le couturier fait une nouvelle fois sensation avec le célèbre Joy et son audacieux slogan « le parfum le plus cher… ».
Caractérisé par des lignes stylisées et géométriques associées à des matériaux précieux, l’Art déco investit l’univers de la parfumerie. Les dessinateurs collaborent ainsi avec les plus prestigieuses cristalleries pour donner naissance à des flacons d’une grande modernité. Jean Patou confie à plusieurs reprises à Louis Süe (1875-1968) le dessin de ses précieux contenants. En 1935, à l’occasion du lancement du paquebot transatlantique, Süe imagine pour Patou une effigie stylisée du géant des mers. Le parfum Normandie est alors offert aux voyageurs de première classe lors de la traversée inaugurale vers New York.
Jean Patou et Louis Süe
Rencontré en 1916 sur le front d’Orient, Louis Süe devient l’ami de Jean Patou et le futur auteur de plusieurs projets décoratifs pour ce dernier. Formé à l’Ecole des beaux-arts de Paris, élève de Victor Laloux (ancienne gare d’Orsay, hôtel de ville et basilique Saint-Martin de Tours), Louis Süe fut un architecte prolifique, notamment connu pour sa longue et fructueuse collaboration avec André Mare (1885-1932). Outre de nombreuses réalisations notables, parmi lesquelles le grand salon du paquebot Île-de-France, les deux hommes fondèrent en 1919 la Compagnie des Arts Français, une maison de décoration proposant, au numéro 116 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, mobilier, orfèvrerie, céramique, papiers peints et tissus d’ameublement.
L’harmonie du style de Louis Süe, classique et moderne à la fois, attire alors plusieurs couturiers qui s’octroient ses services. Dans les années 1910, il aménage les salons de couture de son ami Paul Poiret, avenue d’Antin, ainsi que le magasin des ateliers Martine. Jeanne Paquin lui confie également sa villa de Saint-Cloud, « Les Treillages », en 1912. Il n’est donc pas étonnant qu’un homme réputé de bon goût comme Jean Patou se soit adressé au talentueux duo Süe-Mare pour plusieurs de ses propriétés, à commencer par sa maison de couture du 7 rue Saint-Florentin, près de la Concorde, puis de son hôtel particulier rue de la Faisanderie. Décoré en collaboration avec Bernard Boutet de Monvel et meublé par Richard Desvallières, cet ancien hôtel XVIIIe ayant appartenu à Ferdinand de Lesseps sert d’écrin aux réceptions fastueuses du couturier.
Ayant quelques attaches basques par son beau-frère Raymond Barbas, Jean Patou s’offre une résidence secondaire à Ustaritz, au cœur d’un vaste domaine surplombant la Nive. Avec le même souci d’équilibre qui régit ses créations et le décor de ses appartements, Patou réintroduit le traditionnel dans le cadre moderne de sa villa « Berriotz » en béton blanc avec du mobilier style Empire et Charles X. La presse de l’époque ne manque pas de détailler les invités de marque qui se succèdent dans l’élégante propriété à l’occasion de réunions mondaines.
« Au cœur du pays basque. Berriotz, le beau domaine de Monsieur Jean Patou », Vogue, septembre 1932, Paris, BnF.
La mort soudaine de Jean Patou, suite à une crise d’apoplexie en 1936, met un terme prématuré à son ascension. Toujours fidèle à son ami, c’est une nouvelle fois Louis Süe qui se chargera de dessiner la pierre tombale du couturier, d’une grande sobriété, habillée simplement de buis, d’une croix de guerre et de son célèbre monogramme.
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