Par Célia De Saint Riquier
Jusqu’au 19 décembre de cette année, la Villa Vassilieff à Paris accueille l'exposition de la troisième lauréate de la bourse de recherche Marc Vaux par l'ADAGP, l’artiste contemporaine mozambicaine Euridice Zaituna Kala. "Je suis l'archive" propose une réflexion sur la subjectivité des archives, sur leur fragilité, sur ce qui reste, mais surtout sur ‘ceux’ qui manquent.
En partenariat avec le Centre Pompidou, la Villa Vassilieff propose à des artistes choisis de travailler avec les fonds d’archives du photographe Marc Vaux – actif en région parisienne au début du XXème siècle – soit environ 127 000 photographies sur plaques de verre entièrement numérisées, et de proposer une reflexion, une création autour d’elles. C’est une sorte de dialogue qui est proposé, permettant de faire revivre un photographe tombé dans l’oubli et de faire découvrir un ou une artiste contemporain(e).
Ce qui frappe dans cette petite exposition, c’est l’accessibilité du message. Accessibilité et Art contemporain ont souvent du mal à être synonymes (notamment avec l’abstraction), ce qui refroidit une grande partie du public. Ici, Euridice Zaituna Kala nous donne accès à ses interrogations et réflexions, sans simplifier sa pensée. Les œuvres se font écho les unes aux autres, mais font aussi écho aux négatifs de Marc Vaux, avec l’utilisation du verre parfois associé à de fines couches métalliques. Plus qu’un pas de deux entre les artistes (elle-même voit cela comme une danse), le spectateur est largement invité à s’intégrer aux œuvres, par son reflet, ses mouvements, ses regards. Euridice Zaituna Kala nous livre une véritable historiographie de l’humanité. Elle parle des absents des photographies : la diaspora noire présente à Paris au début du XXème siècle qui transparait uniquement dans quelques photos de modèles féminins nus. Elle parle de colonisation, de racisme, d’exotisme à travers la figure de Joséphine Baker dont les « danses sauvages » ont été immortalisées par le photographe. Bien sûr, elle parle de féminisme à travers cette question du modèle. Elle interroge surtout ce regard de photographe de Marc Vaux, homme blanc dans un monde raciste et colonial. Elle interroge, mais ne juge pas. C’est par ces figures qu’il lui a été possible d’entrer dans ces archives, dans cette autre vision d’un monde passé. Cependant une sensibilité face au travail de Marc Vaux est palpable, tout comme un attachement à ces archives venues par suite de ses recherches et aux archives en général. Ce travail lui a rappelé son père, qui était archiviste nous confie une bande sonore qui défile avec nos déambulations.
A travers ce parcours, c’est une reflexion sur l’histoire, sur l’importance des archives qui nous est donnée, mais aussi sur leur fragilité et leur subjectivité. Il nous est rappelé que les archives doivent être manipulées avec soin. Elle cherche à trouver d’autres photographies possibles, celles que Marc Vaux n’a jamais prises, celles dont les plaques de verre se sont brisées, dont la couche d’argent s’est abîmée. L’artiste parle du temps, de son passage, de son objectivité à lui, quand il emporte dans l’oubli les mémoires, quand il brise, détruit. Euridice Zaituna Kala repasse derrière lui, ramasse les morceaux et complète les restes de ces vues partielles du passé.
En cela, il ne faudrait surtout pas manquer, en de temps meilleurs, cette petite leçon d’humilité sur l’humanité.
Je suis l’archive - Euridice Zaituna Kala, à la Villa Vassilieff, du 19/09 au 19/12/2020, sur une proposition de Mélanie Bouteloup, commissariat de Camille Chenais.
Le projet Je suis l’archive d’Euridice Zaituna Kala est soutenu par la bourse ADAGP - Villa Vassilieff, en partenariat avec la Bibliothèque Kandinsky, MNAM-CCI, Centre-Pompidou.
Informations Pratiques :
Villa Vassilieff,
Entrée libre L’ensemble de l’espace de Villa Vassilieff est accessible aux personnes handicapées moteurs.
Horaires d’ouverture : Du mercredi au samedi de 11h à 19h
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