Pendant longtemps, Gustave Caillebotte (1848-1894) fut l’un des moins connus des peintres impressionnistes. Collectionneur et mécène, la postérité retint surtout son legs à l’État qui fit entrer l’impressionnisme dans les collections françaises. Installé devant le Bal du moulin de la Galette de son ami Renoir – tableau acheté lors de la Vème exposition impressionniste en 1877 – Caillebotte pose ici fièrement, armé d’une poignée de pinceaux et de sa palette, réaffirmant sa qualité première de peintre. Signe d’une grande modestie, aucune de ses œuvres ne figurait cependant dans sa donation à la fin de sa vie…
Jusqu’au 21 novembre 2021 se tient une importante exposition monographique consacrée à Gustave Caillebotte à la Fondation Gianadda à Martigny (Suisse). Le parcours chronologique et thématique rend hommage à cet artiste prolifique, décédé précocement à l’âge de 46 ans. Des premières études, jusqu’à la période de maturité en Normandie et en Bretagne, l’exposition retrace différents aspects de la carrière du peintre. Grâce aux prêts remarquables d’institutions publiques prestigieuses et de nombreuses collections privées, près d’une centaine d’œuvres majeures sont présentées au public, soit 20% du corpus de l’artiste. Une promenade impressionniste à ne pas rater dans ce haut-lieu de culture helvétique.
Issu d’une famille normande, Gustave Caillebotte est né en 1848, de l’union en troisièmes noces de Martial Caillebotte (1799-1874) avec Céleste Daufresne (1819-1878). En 1870, le jeune Gustave obtient sa licence de droit, quelques jours avant le début du conflit franco-prussien, où il est mobilisé dans la Garde nationale mobile de la Seine. Après la Commune, il part quelques semaines en Italie, accompagné de son père. Durant ce « Petit » Tour, il visite quelques musées qui marqueront son regard naissant de peintre et, plus particulièrement, sa perception de la lumière. Dès 1873, il commence à étudier à l’Ecole nationale et spéciale des beaux-arts dans le cours de Léon Bonnat. L’année suivante, il installe son atelier dans l’immeuble familial acquis par son père quelques années auparavant dans le VIIIe arrondissement de Paris. Cette année de 1874 connaît aussi la première exposition impressionniste dans l’atelier du photographe Nadar. Caillebotte ne figure pas parmi les exposants mais sa rencontre avec les artistes impressionnistes marque le début d’amitiés fidèles. Dès 1875, il commence à collectionner, en achetant des toiles à ses camarades et auprès du grand marchand des impressionnistes, Paul Durand-Ruel. Issu d’un milieu aisé et son père lui ayant laissé une fortune confortable, Caillebotte apporte un soutien essentiel au bon développement du mouvement artistique et de ses expositions. Il achètera notamment trois tableaux à Claude Monet et payera son loyer à plusieurs reprises.
Au cours de sa carrière, Caillebotte s’est illustré aussi bien dans la représentation de la figure humaine que dans les paysages. L’exposition de Martigny présente un panel riche qui révèle le talent polymorphe de l’artiste : série de portraits, scènes d’intérieur, activités de plein-air, paysages verdoyants et vues urbaines du Paris haussmannien…
Dès les premières œuvres, son intérêt pour les contrastes lumineux se manifeste et le dialogue entre ombre et lumière demeurera un motif récurrent dans son travail.
Fort d’une curiosité insatiable, le jeune Caillebotte nourrit de nombreuses passions tels que la philatélie, le nautisme et la botanique.
Dès le Second Empire, les loisirs de plein air et la vogue des bains de mer se répandent dans les couches supérieures de la société. Avec son frère cadet Martial, né en 1853, Gustave s’inscrit au Cercle de la voile de Paris dès 1876 et se passionne pour la navigation de plaisance. Dans ses représentations des régates et autres activités nautiques, Caillebotte déploie une palette singulière où dominent les bleus. Au-delà de son talent de peintre, il fait preuve d’une inventivité certaine dans le domaine du nautisme, développant diverses astuces pour améliorer sa rapidité et déposant plusieurs brevets.
Caillebotte est un peintre de la vie moderne. Outre les loisirs de plein-air, à Argenteuil, sur les rives de la Seine, son œuvre est fondamentalement ancrée dans sa contemporanéité. Avec ses vues urbaines témoignant des grandes transformations haussmanniennes, ses toiles donnent à voir le Paris de la Belle Époque.
« Aujourd’hui, Manet est bien distancé par Caillebotte dans la vie moderne. » JK. Huysmans
En 1860, le père de Caillebotte achète aux héritiers de la veuve de Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), ébéniste puis orfèvre attitré de Napoléon Ier, une belle demeure à Yerres (Essonne). Dans les jardins et le potager de la propriété familiale, s’étendant sur près de onze hectares, Caillebotte trouve une source d’inspiration intarissable. Section incontournable de l’exposition, l’horticulture fait partie des préoccupations majeures du peintre. Installé définitivement au Petit Gennevilliers en 1888, propriété acquise avec son frère Martial face à Argenteuil, Caillebotte reçoit la visite de ses amis amateurs de jardins, Monet, Renoir, Octave Mirbeau… Outre des projets floraux de décoration intérieure, le peintre brosse avec application l’abondance des motifs trouvés dans la nature. Structurées par des allées rigoureusement dessinées, ces toiles, qui annoncent les décors nabis, sont comme des portraits de fleurs. Chrysanthèmes et dahlias venus d’Orient, capucines dans le goût japonisant, mais aussi tournesols, marguerites et roses… Toutes les belles de ces jardins sont noblement figurées.
Daniel Marchesseau, historien de l’art et commissaire de l’exposition, voit « quelque chose de presque musical, de symphonique » dans les harmonies chromatiques et dans la touche de Caillebotte. Cette sensibilité à la musique se combine à un intérêt évident pour la photographie dans le cadrage de ses œuvres – deux disciplines pratiquées par Martial –, révélant un tempérament assurément moderne et novateur.
Margaux Granier-Weber
Comments