Cible régulière de projets d'aménagement en port militaire depuis François Ier, le village de pêcheurs d'Etretat est devenu le point d'approvisionnement en huîtres de la reine Marie-Antoinette en 1777. L'arrivée progressive des plaisanciers au XIXe siècle, attirés par la promesse des bains de mer dont les vertus thérapeutiques étaient vantées à l'époque, entraîne la multiplication des visites d'artistes à Etretat, qui en fournissent de multiples témoignages picturaux qui attestent de ses profonds changements.
La "découverte" d'Etretat est attribuée à l'artiste parisien Eugène Isabey. Né au palais du Louvre en 1803, il témoigne rapidement d'un intérêt marqué pour le monde de la marine et d'un certain talent pour la peinture. En 1820, alors qu'il approche de ses dix-sept ans, il s'installe pendant environ six mois à Etretat pour y peindre quelques unes des premières vues du village. Il fait ses premiers pas sur la scène officielle en présentant ses marines au Salon de 1824. Etretat devient en quelques années la nouvelle destination à la mode, grâce notamment aux lignes de chemin de fer qui relient les villes alentours à la capitale, faisant du village un "Faubourg de Paris" selon l'abbé Cochet dans l'édition de 1857 d'Etretat, son passé, son présent, son avenir. L'archéologue, au-delà de l'étude du passé de son village natal, exalte l'impact de ce dernier dans la peinture et la littérature, Alphonse Karr lui donnant aussi de la visibilité dans le roman Histoire de romain d'Etretat, paru en 1836.
Les premiers bains de mer, ceux qui transforment le village de pêcheurs en station balnéaire, datent des années 1843. Ils attirent une clientèle fortunée d'origine noble ou bourgeoise, ce qui change le modèle économique du lieu. Les bassins à huîtres fonctionnent alors par intermittence avant leur abandon définitif au XXe siècle. Les habitants, autrefois pêcheurs et marins à plein temps, alternent désormais entre les travaux de la mer et les activités hôtelières que requièrent les plaisanciers. La plage de galets est par conséquent divisée en deux parties. Parmi les élèves d'Isabey, Eugène Lepoittevin témoigne d'un vif engouement pour les stations balnéaires normandes. Ayant fait construire un atelier à Etretat dès 1831, il livre quelques-unes des représentations les plus marquantes de la mixité de ses bains de mer, permise dès 1854. Cette date marque également le début de la construction de la chapelle Notre Dame de la Garde, bâtie pour la protection des marins sous l'impulsion du révérend père Michel. Elle est bénie le 6 août 1856 et c'est elle que l'on voit, perchée sur la falaise de l'Amont, en arrière plan du tableau Baignade à Etretat qu'Eugène Lepoittevin peint dans les années 1860.
Né à Honfleur en 1824, et irrémédiablement attiré par la mer, Eugène Boudin travaille d'abord en tant que mousse sur un bateau à vapeur, forgeant son regard au contact du large. Il quitte le Havre en 1851 pour devenir l'élève d'Eugène Isabey à Paris, puisant dans les paysages de sa Normandie natale et dans les tableaux des maîtres hollandais et flamands qu'il étudie au Louvre une connaissance pointue de la représentation des phénomènes atmosphériques. Il est en effet surnommé par Camille Corot "le roi des ciels". Ses tableaux, s'ils ne rencontrent qu'un succès public relatif, fascinent quelques éminents critiques et pléthore de peintres. Lorsqu'il rencontre Charles Baudelaire en 1859, et lui montre ses études du ciel au pastel, ces dernières fascinent le poète. Boudin met cette sensibilité particulière au service de la peinture en plein air. A partir de 1862, le peintre se met à représenter les mondanités balnéaires normandes, posant son chevalet sur les plages de Deauville et de Trouville. Cependant, lorsqu'il se rend à Etretat, c'est davantage les éléments rappelant le passé du village qu'il représente. Dans Falaises et barques jaunes à Etretat, réalisée en 1886, il fait le choix d'un cadre qui élimine tous les éléments architecturaux balnéaires du littoral et se focalise seulement sur la partie de la plage occupée par les marins, surnommée le "Perrey des manants", encombrée de barques, pour mettre en avant le ciel et la falaise.
Or Eugène Lepoittevin et Eugène Boudin, comme Eugène Isabey avant eux, sont indirectement à l'origine du style de Claude Monet et de la série des Vagues de Gustave Courbet. En août 1869, Courbet séjourne à La Chaufferette, villa d'Eugène Lepoittevin. Il y exécute quelques unes de ses œuvres les plus fameuses. Le peintre réaliste, poursuivant la tradition de la peinture en plein air, installe son chevalet au bord de la mer et réalise la série des Vagues qui décline, selon plusieurs points de vue, les incessants mouvements de l'eau. Quant à son tableau de 1870, La Falaise d'Etretat après l'orage, il fait partie de ces œuvres qui décident de se focaliser sur ce qu'était la ville avant le tourisme, fantasme d'un village de pêcheurs. Il rappelle encore une fois que, si Etretat séduit tant d'artistes, c'est avant tout pour ses paysages, sa lumière, son climat.
En 1858, le jeune Claude Monet rencontre Eugène Boudin, à l'époque où il ne faisait encore que des caricature. C'est à son contact qu'il prend l'habitude de peindre en extérieur, qu'il acquiert de la technique et c'est sous son impulsion qu'il quitte le Havre pour se rendre à Paris en avril 1859. C'est cependant lorsqu'il quitte Poissy pour s'installer à Giverny en 1883 que la figure de proue du mouvement impressionniste commence à peindre régulièrement les Falaises d'Etretat. Il représente subtilement, dans Soleil couchant à Etretat, quelques aspects de la vie des habitants, notamment ceux que le tourisme, intensifié depuis la reconstruction du casino en 1870, avait malmené : quelques bateaux de pêcheurs voguent calmement au crépuscule. Les falaises structurent ses œuvres, et leurs formes particulières participent à l'identité visuelle du site. Si la porte de l'Aval est la plus reconnaissable, la porte de l'Amont et la Manneporte ont, elles aussi, leur lot de représentations.
"Si je suis devenu un peintre, c'est à Eugène Boudin que je le dois." Claude Monet
Etretat reste, chez la majeure partie des artistes qui la dépeignent, un lieu où règnent la mer et la lumière. Les scènes mondaines sont plus rares, et se retrouvent davantage dans la publicité. Les affiches, comme celle d'Arthur Gandgand, qui vantent l'accessibilité de la ville et les différentes activités qu'elle propose mettent davantage l'accent sur l'individu. Ici, la jeune femme mise en avant est richement vêtue, mais l'homme qui passe derrière elle, d'apparence plus rugueuse, est probablement un marin, comme les personnages en arrière-plan. De plus, la couleur du vêtement de la plaisancière fait directement référence à la typographie du texte qui se trouve au dessus d'elle, la liant aux activités qui y sont décrites. Sont mentionnés non seulement le casino mais aussi les courts de tennis qui sont créés en 1884 et le parc qui ouvre en 1889. La ville est raccordée au réseau ferroviaire en 1895, alors que la fréquentation d'Etretat est en baisse. l'absence de mention du golf, qui vient compléter les autres équipements de la ville en 1907, permet de comprendre que la création de cette affiche est antérieure à cette date.
Ville double, à mi-chemin entre les représentations passionnées de l'univers marin et celles, plus galantes, du monde balnéaire, Etretat fait partie de ces villes normandes qui fascinent les artistes du XIXe siècle. Avec les milliers de vues qui en ont été réalisées, impossible de ne pas retrouver avec émotion, au détour d'un rocher, un angle, une couleur ou un détail, fragments de regards illustres.
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