Incontournable artiste mexicain de la première moitié du XXe siècle, souvent cité pour sa relation tumultueuse avec Frida Kahlo, Diego Rivera est la figure de proue de l'art muraliste mexicain. Sa fresque L'Homme contrôleur de l'univers, née d'une commande et sublimée par un rejet, se fait le témoin d'un début de siècle tourmenté et de l'antagonisme croissant entre le capitalisme et le communisme.
Né en 1886, Diego Rivera a vécu la révolution mexicaine de loin. En effet, lorsque les madéristes prennent les armes en 1910 pour protester contre la réélection de Porfirio Díaz, le peintre se trouve à Paris depuis 1907, où il fréquente Modigliani, Picasso ou encore la peintre cubiste Marevna Vorobev-Stebelska. Si l'instabilité politique de son pays natal prive Diego Rivera de bourse, il n'en poursuit pas moins ses pérégrinations européennes jusqu'en 1921, année de son retour au Mexique. Il rejoint dès lors le mouvement muraliste mexicain, qui se caractérise par des fresques monumentales dépeignant les idéaux de la révolution, pour les diffuser au plus grand nombre avec un style naïf et accessible.
La contribution de Diego Rivera à ce courant est majeure. À Mexico, au Palais national, il réalise l'Épopée du peuple mexicain, une immense fresque de 276 mètres carrés, qui représente l'histoire du Mexique depuis la chute de l'empire aztèque. Alors que l'artiste est de plus en plus reconnu à l'international, il déménage aux États-Unis en 1930. Là-bas, il multiplie les travaux de commande, jusqu'à se voir offrir l'opportunité de peindre une fresque pour le compte des Rockefeller, l'une des familles les plus riches du pays. En 1933, le Rockefeller Center est en pleine construction à New York. Malgré ses opinions politiques diamétralement opposées à celles de ses commanditaires, Diego Rivera accepte et propose une fresque représentant le capitalisme d'une part et le communisme de l'autre. Contre toute attente, le projet de L'Homme à la croisée des chemins est accepté. En revanche, lorsque l'artiste rajoute un portrait de Lénine sur sa fresque, Nelson Rockefeller lui demande de l'enlever. Suite au refus du peintre, l'œuvre est détruite l'année suivante.
De retour au Mexique, Diego Rivera demande à son gouvernement de lui donner l'opportunité de reproduire cette œuvre. C'est à Mexico, dans un palais des Beaux-Arts flambant neuf, qu'il va pouvoir reprendre son ouvrage.
L'Homme contrôleur de l'univers, seconde version de L'Homme à la croisée des chemins, Diego Rivera, 1934, palais des Beaux-Arts, Mexico
Dans cette fresque, renommée L'Homme contrôleur de l'univers, Diego Rivera dépeint un espace séparé en deux parties distinctes, chacune représentant une idéologie. Au centre de la composition se trouve un homme en tenue d'ouvrier qui semble être aux commandes d'une énorme machine. Devant lui se trouve un poing massif tenant un orbe. L'artiste a placé son protagoniste au centre d'une croix immense, formée par la rencontre de deux ovales richement illustrés, projetés par les deux lentilles placées de part et d'autre de la machine. L'un de ces deux ovales, composé d'un ensemble de planètes, représente le cosmos. L'autre, constitué d'un réseau de bactéries et autres microorganismes, dépeint le microcosme. L'infiniment grand et l'infiniment petit cohabitent, et leur point d'intersection, c'est ce contrôleur hyperbolique. L'œuvre témoigne des inspirations plurielles de Diego Rivera, comme en attestent une certaine sensibilité cubiste et la grande lisibilité de l'œuvre.
À la gauche du protagoniste, la représentation du communisme présente des images d'union, notamment autour de Lénine, celui-là même dont la figure a causé la destruction de la première version de la fresque. Désormais libéré du joug des Rockefeller, l'artiste avait toute liberté d'ajouter les visages de Trotski, Karl Marx ou encore Friedrich Engels à sa fresque. Loin du chaos et des scènes de violence qui caractérisent le côté capitaliste de l'œuvre, l'artiste dépeint ici une véritable utopie.
Lénine serrant les mains de travailleurs, détail de L'Homme contrôleur de l'univers, Diego Rivera, 1934, palais des Beaux-Arts, Mexico
À la droite du protagoniste, c'est le capitalisme qui est dépeint avec cynisme. Dans une pièce fermée, des personnages richement vêtus dînent et boivent, tandis qu'à l'extérieur, la masse des travailleurs se presse contre l'espace clos. Dans cette version de la fresque, Diego Rivera a rajouté le visage du père de Nelson Rockefeller, John Rockefeller Jr, un verre à la main, parmi les convives de cette soirée débauchée. De ce côté de la fresque se trouve également Charles Darwin, aux pieds duquel se trouvent de multiples animaux autour d'un enfant humain.
John Rockefeller Jr buvant au milieu d'une scène de débauche, détail de L'Homme contrôleur de l'univers, Diego Rivera, 1934, palais des Beaux-Arts, Mexico
Ces deux parties fonctionnent ainsi en miroir, avec quelques éléments communs qui se répondent et viennent appuyer les fossés qui séparent ces deux sociétés. Deux statues antiques en partie détruites se font face. Côté capitaliste, c'est une statue de Zeus avec un crucifix autour du cou, peut-être une manière pour Diego Rivera de donner au christianisme l'allure d'un ancien mythe. Côté communiste se trouve une statue de César décapitée, portant une croix gammée, dont la tête sert de siège aux personnages en bas à droite de la fresque. Enfin, l'arrière-plan de l'œuvre est également riche de sens : le capitalisme est surplombé par des images de guerre, avec des avions et des soldats portant des masques à gaz. Côté communiste se trouvent au contraire des images de liesse, avec un défilé de la journée internationale des travailleurs qui s'étend en une kyrielle de drapeaux rouges.
L'Homme contrôleur de l'univers est, autant par son histoire que par son sujet, une œuvre emblématique de la carrière de Diego Rivera. Alors que l'artiste est exclu du parti communiste en 1929 à la suite de son séjour moscovite, il n'en promeut pas moins les idéaux à travers des fresques débordantes de force et de vie.