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Deux chefs-d’œuvre de l’émaillerie limousine du XVIe siècle en vente à Drouot


Quand est évoqué l’art de la Renaissance, les œuvres habituellement citées appartiennent généralement aux genres de la peinture, de l’architecture et de la sculpture et moins souvent à celui des objets d’art. Pourtant, cette période fut également propice pour ces derniers, avec un fort renouvellement des techniques et iconographies, le tout porté par des créateurs dont le talent et la renommée égalaient celles de leurs confrères peintres, architectes et sculpteurs. Il faut ainsi penser à l’orfèvre Wenzel Jamnitzer, auteur de la célèbre Daphné d’Écouen, au céramiste Bernard Palissy ou encore à l’émailleur Léonard Limosin. De ce dernier, deux chefs-d’œuvre passeront le 19 décembre en vente à Drouot, présentés par la maison de vente Gros & Delettrez.


Léonard LIMOSIN, Achille et Léandre, vers 1560. © Gros & Delletrez


Deux plaques en émail peint de Léonard Limousin


Ces deux plaques émaillées représentent deux personnages en buste de trois-quarts : un jeune homme identifié comme « Achylles » par une inscription, et un autre également identifié par une inscription comme Léandre. Elles sont l’œuvre de Léonard Limosin, le plus grand émailleur français du XVIe siècle. Ce dernier, qui serait né vers 1505 à Limoges, signe ses premières œuvres dans les années 1530, à un moment où il doit sans doute être au service de Jean de Langeac, évêque de Limoges. Avec lui, Limosin voyage peut-être en Italie, à Ferrare, et grandit en renommée au point d’obtenir durant la décennie suivante le titre d’« esmailleur et peintre du roi ». Il travaille alors pour Henri II pour qui il exécute, entre autres, les retables émaillés de la Sainte-Chapelle (Paris, Musée du Louvre). Tout en œuvrant pour le roi, Léonard Limosin livre également des œuvres aux grands du royaume comme la reine Catherine de Médicis, la famille de Guise ou encore le connétable Anne de Montmorency. Toutes ces commandes lui permettent d’accéder à un très haut niveau de richesse au point d’être, en 1558, la cinquième fortune de la ville de Limoges, d’où il réalise ses œuvres et où il meurt vers 1576.


Sa célébrité et son succès s’expliquent entre autres par le perfectionnement qu’il a su apporter à un art inventé à la fin du XVe siècle : l’émail peint. Cette technique d’orfèvrerie consiste à appliquer au pinceau sur une surface métallique un mélange de silice (verre), de fondants (pour abaisser la température de fusion) et d’oxydes métalliques (pour colorer). Elle remplace la technique dite de l’émaillerie champlevé qui avait fait le succès des ateliers limousins entre le XIIe et le XIVe siècle. Il ne s’agit ainsi plus de creuser le support pour y placer l’émail mais d’appliquer ce dernier directement sur le support. A chaque couleur correspond alors une couche et une cuisson spécifique. Aisément transportable, assez peu onéreux et ayant un rendu similaire à la peinture, l’émail dit peint connut ainsi un immense succès en France à partir du XVIe siècle. Léonard Limosin,, Pierre Raymond ou encore les dynasties Laudin et Nouaillher en sont les principaux artisans.


Léonard LIMOSIN, Retables de la Sainte-Chapelle (détails), vers 1552/1553, Paris, musée du Louvre. ©Nicolas Bousser


Une riche série à la provenance prestigieuse


Ce qui fait l’intérêt des deux plaques mises en vente, au-delà du fait qu’elles sont l’œuvre de Léonard Limosin, est leur appartenance à un ensemble prestigieux commandé vers 1560, et sans doute constitué originellement de trente-deux plaques mais dont seulement dix-sept sont aujourd’hui connues. Leur provenance probable est en effet le cabinet d’étude, le studiolo, de la reine Catherine de Médicis en son hôtel particulier aujourd’hui détruit mais jadis situé à l’emplacement actuel de la Bourse de Commerce à Paris.


Cette série qui figure des personnages antiques est aujourd’hui répartie entre le musée nationale de la Renaissance à Écouen (Pâris, Ulysse, Déjanire, Jason, et Oreste), le musée Antoine Vivenel à Compiègne (Hercule, Protésilas, Thésée, Briséis, Médée et Ariane), la Walters Art Gallery de Baltimore (Didon et Enée), le musée Crozatier du Puy-en-Velay (Hippolyte et Phèdre) et une collection privée d’où proviennent les plaques mises en vente (Achille et Léandre).


Léonard LIMOSIN, Hippolyte, vers 1560, Le Puy-en-Velay, musée Crozatier. © L. Olivier

Une iconographie savante


La présence de ces héros et héroïnes s’explique par le fait que la série est l’adaptation d’un célèbre ouvrage écrit par le poète romain Ovide entre la fin du 1er siècle avant J.-C. et le début du 1er siècle après J.-C : Les Héroïdes. Ce texte prend la forme d’un recueil de lettres d’amour imaginaires échangées entre des amants maudits de la mythologie grecque. Redécouvert en France à la fin du XVe siècle, il connaît un grand succès grâce aux traductions en Français d’Octavien de Saint-Gelais puis de Charles Fontaine en 1556. C’est sur cette dernière que se fonde sans doute Léonard Limosin dans la réalisation de ses œuvres puisqu’il y emprunte l’orthographe des noms des héros. Les Héroïdes sont particulièrement lues à la cour de France mais également dans les milieux humanistes ; Érasme en conseille même la lecture dans son ouvrage l’Art de rédiger des lettres (Bâle, 1522).

Léonard Limosin choisit d’illustrer le texte par la représentation unique des personnages, que la disposition au sein du cabinet devait organiser par couple comme dans le poème. Achille devait donc former une paire avec Briséis, son amante troyenne, dont la représentation est aujourd’hui conservée à Compiègne tandis que Léandre a aujourd’hui perdu sa Héro, prêtresse d’Aphrodite dont il était épris.


Léonard LIMOSIN, Paris, vers 1560-1565, Ecouen, musée national de la Renaissance.

Les deux œuvres mises en vente, provenant anciennement de la collection Rothschild, n’étaient pas inconnues du public puisqu’elles avaient déjà été présentées dans le catalogue de l’exposition centrée autour de la série ayant eu lieu à Écouen en 2012. Leur passage à Drouot serait ainsi l’occasion parfaite pour le musée national de la Renaissance de compléter de manière plus définitive cette série (dont il possède déjà cinq œuvres) après avoir préempté la plaque représentant Pâris lors la vente Yves Saint Laurent et Pierre Bergé chez Christie’s en 2009, et fait l’acquisition de celle représentant Ulysse auprès d’un collectionneur en 2012. Réponse donc le 19 décembre.

 

Léonard LIMOSIN (1505- 1575/1577)

Achille et Léandre

Émaux peints polychromes et translucides avec rehauts d’or sur cuivre

30 x 26 cm Limoges, vers 1564.

150 000 / 200 000 € chaque plaque

 

Vente le 19/12/2024

Gros & Delletrez

14h, Hôtel Drouot

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