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Dents ! Crocs ! Griffes ! L'exposition de Carolein Smit au Musée de la Chasse et de la Nature

Par Joséphine Journel


Le 18 octobre, le Musée de la Chasse et de la Nature ouvrait les portes d'une exposition d'hiver pleine de mordant et de caractère : Dents ! Crocs ! Griffes ! de Carolein Smit. Après sa dernière exposition de sculpture contemporaine, la Galleria d'Eva Jospin, ce musée établi en plein cœur du Marais renégocie une collaboration réussie entre art ancien et contemporain.



Un lieu à soi


Le Musée de la Chasse et de la Nature est resté fidèle au souhait de ses fondateurs François et Jacqueline Sommer, industriels ardennais, de créer un belvédère sur la nature et la faune sauvage en pleine capitale. Le lieu fait encore résonner l'âme de ce couple de collectionneurs qui, dans le même élan, y avait créé un club de chasse ainsi qu'un musée dédié à la présentation de leurs tableaux, dessins, armes, trophées, sculptures, pièces de mobiliers et curiosités. Ce patrimoine fut amassé par de véritables connaisseurs qui ont collectionné des objets d'art cynégétiques et, plus généralement, dépositaires d'un discours sur les liens qui unissent l'homme à la nature.

Avec leurs enfilades de salons, d'antichambres et de cabinets, ces deux hôtels particuliers à la muséographie rénovée en 2021 semblaient le lieu d'élection pour accueillir le travail de la sculptrice Carolein Smit : une artiste qui se plaît à modeler des œuvres pétries de féerie et de romantisme noir, volontiers animalier ou lié à l'animalité.


Pour cette exposition, la plasticienne a d'ailleurs abondamment puisé ses inspirations dans les collections du musée. La plupart des œuvres présentées ont été réalisées en hommage au répertoire formel et esthétique offert au regard du visiteur au sein du parcours permanent. De cette collaboration entre la collection du musée et l'approche absolument contemporaine de l'artiste de son médium la sculpture en céramique est née une formidable synergie, un sentiment que les animaux et les chimères de Carolein Smit sont bien plus que de simples invités élisant domicile le temps d'une exposition temporaire. Elles sont ici véritablement chez elles.


Carolein Smit / Jean Baptiste Oudry, La lice allaitant ses six petits, huile sur toile, vers 1750 © Winnifred Limburg – ADAGP, Paris, 2022


Du dessin à l'argile


Carolein Smit naît en 1960 à Amersfoort aux Pays-Bas. Elle suit d’abord une formation à l'Académie des Beaux-Arts de Saint Josse de Bréda de 1979 à 1984, avec une spécialisation en arts graphiques et en lithographie. Ce n'est qu'à 36 ans que la dessinatrice fait le choix décisif de la céramique. Elle va pour cela parfaire sa technique à l'European Ceramics Work Centre de Hertogenbosch, aux Pays-Bas.

Entre 1992 et 2016, l'artiste est récompensée de plusieurs prix de sculpture, dont le prix Keranova (1999). Elle signe ses premières expositions personnelles en Allemagne en 2003. C'est le début d'une longue série de rétrospectives sur son travail, dont l'une des plus récentes tenue au Victoria and Albert Museum de Londres en 2018 : Myth and Morality, qui traite le thème de la vanité au moyen de ronde-bosses et de fresques qui multiplient les références à l'art religieux, la littérature et les légendes d'un grand nombre de cultures.

Carolein Smit, Unicorn, 2013 © Winnifred Limburg


Aujourd'hui, la renommée de son travail a atteint une envergure internationale, avec l'exposition et l'acquisition de ses œuvres dans des musées et galeries en Allemagne, en Suisse, en Turquie, aux États-Unis, en Chine, ainsi qu'en métropole française où elle signe avec Dents ! Crocs ! Griffes ! sa première exposition personnelle dans un Musée de France.



Entre hyper-naturalisme et arts décoratifs


Les animaux jouent un rôle très important dans le travail de Carolein Smit. Pour cette exposition, elle réunit à sa fantaisie spécimens réels et animaux mythologiques, faune sylvestre et faune marine, rapaces nocturnes et animaux domestiques, hommes et bêtes. Elle puise ses sujets dans la mythologie d'un grand nombre les cultures, les contes et les fables. Ses animaux sont des êtres de rêves ou de cauchemars ; hiboux, chauves-souris, vautours, serpents, loups, singes et souris posent tour à tour dans des attitudes monstrueuses, grotesques ou naturalistes. Les traits de caractère dont l'artiste semble doter ses animaux, traités comme de véritables personnages aux contorsions rodiniennes, font osciller le spectateur entre la peur, la pitié et le rire. Elle accorde une place toute particulière aux chiens domestiques, bouledogues et autres limiers dans un hommage aux canidés qui peuplent les collections du Musée de la Chasse et de la Nature.


Carolein Smit © Winnifred Limburg – ADAGP, Paris, 2022


La figure humaine n'est cependant pas absente de l'exposition. Elle permet à l'artiste de traiter le thème de la vanité qui lui est très cher. Squelettes et écorchés animent ses compositions et se réfèrent aux danses macabres et à l'art des manuscrits. Dans le même temps, ils ne sont pas sans évoquer les aventures irrévérencieuses et pleines de fantaisie des personnages de Félicien Rops, dessinateur et graveur de la fin du XIXe siècle.



Il n'y a qu'un pas à faire pour voir que le travail de Carolein Smit cite et détourne avec humour le répertoire iconographique des arts religieux. Elle représente certains animaux en majesté, multiplie les reliquaires et les effets illusionnistes en pastichant – toujours en grès ou en faïence – les émaux cloisonnés, les perles et les pierres montées en bâtes de l'orfèvrerie byzantine. Certaines pièces adoptent également une surenchère d'effets et de détails inspirés librement des arts baroques et rocaille. Le visiteur sera séduit par la richesse des effets de surface qu'offrent le grès et la faïence, une matière pourtant pauvre et argileuse habilement transformée par la magie du four.



Carolein Smit, 2022 © Musée de la Chasse et de la Nature



La technique


La sculpture animalière de Carolein Smit semble en effet capable de produire une infinité d'impressions et de sensations : l'humectation naturelle d'un regard, le relief d'une peau tatouée, la viscosité d'un nid de serpents, le tranchant des canines et des griffes, le lustre des poils et des plumes, le scintillement de l'or et des gemmes. Cet univers onirique et précieux doit toute sa séduction à la maîtrise technique de la céramiste, qui travaille le grès vernissé et la faïence : une matière argileuse qu'elle sublime par des traitements de surface à profusion. Les tours de force réalisés sur chaque pièce sont d'autant plus spectaculaires que l'émailleur, désireux de faire une pièce polychrome, doit s'engager dans le processus long et fastidieux des cuissons successives. Ces dernières permettent la révélation des pigments aux oxydes métalliques, chaque passage au four comportant des risques d'éclatement de l'œuvre sous l'action de la chaleur.


Carolein Smit, 2019, Galerie Michèle Hayem © Winnifred Limburg - ADAGP, Paris, 2022


Ces effets de couvertes et de barbotines donnent à ces animaux une dimension extrêmement décorative. Impossible de ne pas voir dans le travail de Carolein Smit l'héritage de la porcelaine de Meissen, cette production rococo originaire de Saxe très appréciée par les collectionneurs pour le luxe de ses tons vifs et brillants, ses motifs de chinoiseries, ses fleurs au naturel, ses groupes et ses sujets animaliers.


Précieux monstres aux allures interrogatives, passives ou hallucinées, les animaux de Carolein Smit se répartissent en groupes ou en sujets autonomes à taille réelle. Ses œuvres adoptent aussi bien souvent les dimensions d'objets de vitrines et ne sont pas sans évoquer les petits personnages en biscuits qui ont fait, au XVIIIe siècle, le succès de la Manufacture de Sèvres.


Carolein Smit © Winnifred Limburg – ADAGP, Paris, 2022


Au-delà de la polychromie virtuose, c'est évidemment le modelage qui donne à ces êtres de glaise tout leur naturalisme. Pour les petits animaux aquatiques, c'est à la manière des rustiques figulines d'un Bernard Palissy, émailleur de Catherine de Médicis, que l'artiste modèle une faune comme moulée vive et saisie en mouvement. Bien que les œuvres de Carolein Smit présentées dans l'exposition Dents ! Crocs ! Griffes ! tissent d’innombrables hommages à l'histoire de l'art et des techniques, elles échappent aux classifications traditionnelles et revêtent, de ce fait, une aura puissamment contemporaine.

 

Le Musée de la Chasse et de la Nature accueille l'exposition Dents ! Crocs ! Griffes ! jusqu'au 5 mars 2023. Le visiteur est invité à découvrir les œuvres de Carolein Smit au sein du parcours permanent (rez-de-chaussée et premier étage) du mardi au dimanche de 11h à 18h et en nocturnes les mercredis jusque 21h30.

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