C’est entre 1855 et 1868 que Savinien Petit (1815-1878) s’attela à la réalisation de ce qui constitue sans doute la plus importante commande de sa carrière, les décors des chapelles Saint-Joseph et Notre-Dame du Mont-Carmel de la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Voulu par le cardinal Donnet, ce chantier voit l'artiste s’associer à l’architecte Jean-Charles Danjoy et au peintre Alexandre Denuelle (1). Dans la chapelle Saint-Joseph, Denuelle peint les voûtes et piliers tandis que Petit conçoit le vaste décor situé au dessus de l'autel. Trois scènes sont identifiables, relatives à la vie de Joseph : La fuite en Égypte à gauche, la mort de Joseph au centre et Jésus initié au travail de charpentier à droite. Très dégradées, ces compositions ont fait l’objet d’une restauration d’ampleur en 2013 (2).
Savinien Petit, Modello pour la Mort de Joseph, chapelle Saint-Joseph de la cathédrale de Bordeaux. Vers 1860. Huile sur toile, 32 x 27 cm. Collection particulière ©NB
Savinien Petit, Scènes de la vie de Joseph, chapelle Saint-Joseph de la cathédrale de Bordeaux.
La Mort de Joseph
De nombreuses études sur papier relatives à cette commande sont connues et en grande partie conservées au musée des Beaux-Arts de Nancy, qui concentre l'un des plus importants fonds de feuilles de Savinien Petit (3). Mais l’objet de notre intérêt est ici un modello sur toile, signé par l’artiste et référencé au catalogue de la vente du contenu de son atelier à sa mort en 1878 (Lot 47 : "Esquisse. Mort de saint Joseph - exécuté à fresque à Bordeaux"). Il n'était pas réapparu jusqu'à aujourd'hui. Relatif à la scène de la Mort de Joseph, il présente l’intégralité de la séquence finale. Joseph est allongé sur son lit de mort et occupe une grande horizontale dans l’espace de la composition. La Vierge et le Christ se déploient à gauche et à droite, de part et d’autre du lit. Une ange les surplombe dans la portion supérieure.
Les personnages sont laissés à l’état de dessin, rehaussés de gris-beige. L'ensemble est ponctué par quelques éléments colorés comme les nimbes, une partie des tenues et le bois du lit tandis que les rideaux tendus à l’arrière plan se développent en de grands aplats bordeaux interrompus par le bleu du ciel. Tout cela est fidèle au travail final réalisé dans la chapelle, où par ailleurs les tuniques portées se parent elles-aussi de bleu. Le peintre a signé son travail en bas à droite de la composition.
Savinien Petit, Modello pour la Mort de Joseph (détail.), chapelle Saint-Joseph de la cathédrale de Bordeaux. Vers 1860. Huile sur toile, 32 x 27 cm. Collection particulière
Les dimensions de ce modello sont identiques à celles de celui réalisé par le peintre en 1857 pour le décor de la chapelle privée de Mlle de Mauroy dans le XVIIe arrondissement de Paris, dite chapelle du Corpus-Domini, - aujourd'hui conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes, donation Foucart (4) -, à savoir 32 par 27 cm, et proches de celles d’un autre conçu l’année suivante pour le tombeau du prince Woronzoff à Odessa (33x25 cm, coll. particulière)
Savinien Petit, le pinceau guidé par la foi
"Ah ! le réalisme ! s’écriait-il, c’est le règne de l’élément brutal, la négation de l’idéal! " Paul Depelchin, 1878, p.454
Au début des années 2000, seuls quelques érudits connaissaient Savinien Petit, peintre né en 1815 à Trémilly (Haute-Marne) et mort à Paris en 1878 après avoir mené une vie modeste et marquée par la dévotion. Paul Depelchin, son ami et collègue au sein de la Société de Saint-Jean pour l'encouragement de l'art chrétien, chanta ses louanges à son décès en 1878 dans un long texte publié dans les colonnes de la Revue de l'art chrétien (5), qui constitue aujourd’hui encore la principale source d’informations sur son existence. Bruno Foucart est le premier à s'intéresser à cette figure atypique de la peinture française en 1987 (6), couronnée par un long article de François Macé de Lépinay en 2003 (7) et l’exposition monographique du musée des Beaux-Arts de Nancy en 2004 Savinien Petit, le sentiment de la ligne (8).
D’abord élève de Jean-Claude Naigeon aux Beaux-Arts de Dijon, le peintre arrive à la fin des années 1830 à Paris, où il devient l’élève d’Auguste Hesse aux Beaux-Arts et bénéficie du précieux soutient de Ingres (9). Il rejoint en Rome en 1845 pour travailler à des relevés des peintures murales des catacombes en vue de la publication de l'ouvrage Les Catacombes de Rome de Louis Perret en 1851 (10). Si sa foi se renforce au contact de ces œuvres des premiers chrétiens, il développe par ailleurs un goût pour les grands maîtres, Duccio et Giotto en tête, et une fascination pour Fra Angelico. Paul Depelchin précise même qu'il peignait parfois à genoux, comme le maître italien (11).
"Il sera un grand dessinateur." Ingres à propos de Savinien Petit. Paul Depelchin, 1878, p.446.
À son retour à Paris, il produit quelques peintures de chevalet et, pour vivre, accepte d’autres missions de relevés, notamment à l’Hôtel Lambert entre 1851 et 1854 (12). Plusieurs chantiers d’importance vont par la suite se succéder. Il fait tout d’abord partie de l’équipe chargée d’achever à la mort de Victor Orsel les décors de Notre-Dame-de-Lorette. Puis, il réalise pour le duc de Broglie le décor de la chapelle de son château dans l’Eure, jalon majeur dans le développement de sa pratique (13). Viendront ensuite L’Institution de l’adoration du saint sacrement peinte pour la chapelle du Corpus-Domini à Paris et Les saintes femmes au tombeau imaginées pour le tombeau du prince Woronzoff à Odessa dessiné par Viollet-le-Duc - deux compositions perdues -, ainsi que les décors des chapelles Saint-Joseph et Notre-Dame-du-Mont-Carmel dans la cathédrale de Bordeaux. À sa mort, sa veuve ouvre son atelier à ses amis. L’entier contenu est dispersé à Drouot entre le 2 et le 6 mai 1878 (14).
Toute sa vie, Savinien Petit aura cherché à placer la pureté au centre de son art inspiré par la dévotion. Le dessin constitue dans ses œuvres la fin bien plus que la couleur. Dans la lignée d’Orsel ou encore d’Amaury-Duval, l’artiste mérite bien cette reconnaissance longtemps absente, qu’il ne cherchât pourtant pas de son vivant. La découverte de ce modello, quelques années après la restauration des peintures de la cathédrale de Bordeaux, documente un peu plus ce grand repère dans sa carrière.
[Notes]
(1) S. Harent & F. Macé de Lépinay, Savinien Petit (1815-1878) - Le sentiment de la ligne. Août 2004. Art Lys Eds. p. 44
(2) J-P Vigneaud, Bordeaux : les peintures du XIXe siècle de la Cathédrale Saint-André réapparaissent. Décembre 2013, Sud-Ouest. Lien URL
(3) S. Harent & F. Macé de Lépinay, Savinien Petit (1815-1878) - Le sentiment de la ligne. Août 2004. Art Lys Eds. p. 12
(4) D. Rykner, La donation Foucart au Musée des Beaux-Arts de Rennes. 3 juin 2021, La Tribune de l'art. Lien URL
(5) P. Depelchin, Savinien Petit. 1878, Revue de l'art chrétien. p.438-453. Disponible en ligne, lien URL
(6) B. Foucart, Le Renouveau de la peinture religieuse en France, 1800-1860. 1987, Arthéna.
(7) F. Macé de Lépinay, Un "Nazaréen français" : Savinien Petit (1815-1878). 2003, Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français. p.229-260
(8) S. Harent & F. Macé de Lépinay, Savinien Petit (1815-1878) - Le sentiment de la ligne. Août 2004. Art Lys Eds.
(9) P. Depelchin, Savinien Petit. 1878, Revue de l'art chrétien. p.446.
(10) L. Perret, Catacombes de Rome. 1851, Paris, Gilles et Baudry. 6 vol in-folio.
(11) P. Depelchin, Savinien Petit. 1878, Revue de l'art chrétien. p.443.
(12) F. Macé de Lépinay, Un "Nazaréen français" : Savinien Petit (1815-1878). 2003, Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français.
(13) S. Harent & F. Macé de Lépinay, Savinien Petit (1815-1878) - Le sentiment de la ligne. Août 2004. Art Lys Eds. p.35
(14) Catalogue de la vente. Drouot, 2 mai 1878. Disponible à l'INHA.
[Bibliographie]
- P. Depelchin, Savinien Petit. 1878, Revue de l'art chrétien. p.438-453.
- B. Foucart, Le Renouveau de la peinture religieuse en France, 1800-1860. 1987, Arthéna.
- S. Harent & F. Macé de Lépinay, Savinien Petit (1815-1878) - Le sentiment de la ligne. Août 2004. Art Lys Eds
- F. Macé de Lépinay, Un "Nazaréen français" : Savinien Petit (1815-1878). 2003, Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français. p.229-260
- L. Perret, Catacombes de Rome. 1851, Paris, Gilles et Baudry. 6 vol in-folio.
- G. Schurr & P. Cabanne, Les Petits Maîtres de la peinture, valeur de demain, 1820-1920. 1985, Paris, Les Éditions de l'Armateur.
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