En ces temps maussades, l’être humain tend à se remémorer ses gloires passées, ces moments de grâce de l’Histoire. Ceux où la fureur de vivre était à son paroxysme et où joie et alégresse semblaient être un état permanent. Si tout alors n’était parfait, le temps qui passe a rendu pour la mémoire collective ces périodes semblables à un idéal. La multiplication des expositions sur la Belle Epoque dont le surnom renvoie directement à cette notion de "temps du bonheur retrouvé" tend à prouver cela. Alors que vient d’être inaugurée la très attendue exposition rétrospective sur l’œuvre d’Henri de Toulouse-Lautrec au Grand Palais, le musée de Montmartre propose une vision plus intimiste de cet "âge d'or".
C’est il y a plus de vingt ans que se rencontrent Jacqueline E. Michel et David E. Weisman. Les deux Américains se rendent alors compte qu’ils partagent un même intérêt pour le Montmartre Fin de Siècle et Belle époque. Avec leur union, leurs collections en font de même et c’est ainsi que naît l’une des plus importantes collections privées consacrées à ces périodes. Depuis, celle-ci ne cesse de s'accroître au point qu’une partie soit en dépôt au musée de Montmartre. Il était donc tout naturel que la première exposition de la collection prenne place dans le musée parisien.
C’est le Montmartre des artistes, celui des prostituées, des journalistes, des chansonniers qui s’ouvre alors à travers les cimaises des salles du musée, le Montmartre bohème. La collection, réunie avec une passion certaine, est en effet d’une richesse assez inouïe. En se tenant à une certaine distance des œuvres vues et revues des artistes les plus huppés, elle offre un regard différent sur la période. La scénographie réalisée par Ignasi Cristià participe sans en faire trop à cette tentative de recréer l’ambiance si particulière des cafés-concerts, des rues de Montmartre, des cabarets. La diffusion de musiques d’Erik Satie, amant de Suzanne Valadon, dans la pièce dédiée à la peintre illustre par exemple cela.
L’exposition débute par une mise en contexte du quartier de Montmartre, annexé par Paris depuis peu de temps alors (en 1860), à travers des vues d’artistes. Après cette première salle introductive, la maquette de l’enseigne du chat noir par Willette donne le ton pour le reste du premier étage. Celui-ci s’intéresse en effet à travers des affiches, des toiles, des dessins au Montmartre des cabarets et des cafés-concerts. Cette vie culturelle débordante, loin de l’immobilisme artistique des quartiers bourgeois, attirait alors de nombreux artistes dont le travail reflète cette vie presque bohème. Une mention spéciale est à décerner pour la salle dédiée à la chanson montmartroise à travers la présentation d’un album inédit de dessins et aquarelles d’Albert Guillaume illustrant les plus célèbres hymnes d’alors. La dernière salle de l’étage traite enfin du journalisme satyrique. Grâce notamment au développement de nouvelles techniques d’impressions comme le gillotage, les dessins peuvent être reproduits avec une bien plus grande facilité. Cela entraîne ainsi le développement du dessin humoristique et de la caricature. Le journal Le Rire, représenté dans la collection Weisman & Michel notamment par une illustration de Toulouse-Lautrec, est le chef de file de cette nouvelle presse.
Le second étage, qui accueille également la chambre reconstituée de Suzanne Valadon, est dédiée aux femmes. La première salle s’intéresse à l’art de celle qui a vécu au sein du bâtiment qui accueille désormais le musée. Suzanne Valadon, née en 1865, est l’une de ces rares artistes féminines à avoir réussi à s’imposer dans le milieu artistique montmartrois. Chaperonnée au début par Degas, elle développe un art de la gravure virtuose représentant ses amies, ses parents, ses enfants, n’ayant pas les moyens de payer des modèles. Ses peintures ne sont pas en reste puisque sont présentée plus d’une demi-dizaine de peintures dont la célèbre Acrobate. Destinées à l’origine au métier d’acrobate, les ambitions de celle qui s’appelle encore Marie-Clémentine, sont mises à bas par une chute de trapèze. Le cirque garde cependant une grande importance pour elle. La suite de l’étage, s'il traite aussi de la situation des femmes dans cette société, laisse une place importante à cette forme d’art qui est alors reconnue presque à l’égale du théâtre. Loïe Fuller est l’une des figures de proue de ces nouveaux arts vivants. Peinte par Toulouse-Lautrec, elle est ici représentée lors de sa fameuse danse serpentine par de somptueux pastels de Charles Maurin.
Le musée de Montmartre présente ainsi jusqu’au 19 janvier 2020 une exposition d’un grand intérêt. Le catalogue n’est pas en reste, car loin des barbantes successions d’historiques, il propose une vraie somme de mise en contexte sur le Montmartre Fin de Siècle et Belle Epoque. Coupe-File ne peut ainsi que recommander ce voyage dans un temps passé.
Antoine Lavastre
Collection Weisman & Michel : Fin de siècle – Belle Epoque (1880-1916)
11 octobre 2019 au 19 janvier 2020
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12 rue Cortot – 75018 Paris
Le musée est ouvert tous les jours :
de 10h à 18h d’octobre à mars
de 10h à 19h d’avril à septembre
Tarifs
Plein tarif : 12 € - 18-25 ans : 9 €
Personnes à mobilité réduite : 8,50 €
10-17 ans : 6 € - Gratuit pour les - de 10 ans
Tarif enseignant : 10 €
Le catalogue de l’exposition est co-édité par le Musée de Montmartre Jardins Renoir et les
Editions Hazan.
Bilingue Français/anglais - 197 illustrations - 224 pages Prix : 24,95 €
Comments