Chef d'oeuvre de Cabanel, cette œuvre participera à la création d’une typologie du personnage de Cléopâtre, celle de la séductrice prête à déchaîner les passions humaines.
Alexandre Cabanel est né en 1823 à Montpellier et mort en 1889 à Paris. Il peut être considéré comme l'une des figures de la peinture académique du Second Empire. Issu d’une famille modeste, son père était menuisier, Alexandre Cabanel débute son apprentissage artistique à l’école des beaux-arts de Montpellier. Elève brillant, il reçoit une bourse lui permettant de monter sur la capitale. Nous sommes alors en 1840 et Alexandre Cabanel rentre à l’Ecole des Beaux-Arts où il suit les cours de François-Edouard Picot, maître de Moreau ou de Bouguereau. Cinq années plus tard, il obtient le second Prix de Rome pour Jésus dans le prétoire. Ce prix lui donne le droit de poursuivre ses études à la célèbre villa Médicis, l'académie française de peinture romaine. Durant ce séjour, Cabanel forme sa main et son art au contact des oeuvres des grands maîtres de la Renaissance. Revenu d’Italie, il expose alors régulièrement au Salon. C’est La Naissance de Vénus, exposée au Salon en 1863, qui lui ouvre les portes de la Renommée. Cette même année il entre à l’Académie des Beaux-Arts avant de devenir professeur de l’Ecole l’année suivante. La peinture de Cabanel est caractéristique de la peinture académique d’alors. Également portraitiste, le peintre montpelliérain réalisaient principalement des peintures d’histoire. Ces compositions travaillées rejouaient des évènements aussi bien historiques que mythologiques. Son art se perpétua à travers la multitude de jeunes peintres à qui il enseigna. Debat-Ponsan, Regnault et même Aristide Maillol peuvent être cités parmi ses élèves. Ce dernier nom, associé à son plaisir à admirer les œuvres de Renoir, prouve que malgré sa ferveur académique, Cabanel ne se ferma pas aux bouleversements picturaux de son temps.
Cabanel peint « Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort » alors qu’il est au sommet de sa gloire. Construit en deux parties, le tableau présente au premier plan la reine, assise sur des coussins, qui observe des condamnés à mort, au second plan, qui se tordent de douleur sous l’effet du poison. Cette construction bipartite permet de mettre en avant ce qui intéressait ici le plus Cabanel, c’est-à-dire la figure de la femme fatale (dans tous les sens du terme). Cléopâtre est représentée froide, le regard haut, regardant insensiblement la torture qu’elle engendre. La cruauté de la scène est exacerbé par le comportement de la servante de la reine, qui évente nonchalamment Cléopâtre à l'aide d'un chasse-mouche. La reine est ici à la recherche d’un poison indolore, préparant son suicide en cas de défaite face aux armées d’Octave. Pour construire son œuvre, Cabanel puise son inspiration dans l’esthétique égyptisante qui s’est construite tout au long du XIXème à la suite de la campagne d’Egypte napoléonienne. Le peintre pour le décor de son oeuvre tire sans doute son inspiration des nombreux manuels d'égyptologie qui fleurisse alors. Le cadre, clairement égyptisant, la représentation de profil (à l’égyptienne) de la reine renvoient clairement à une esthétique orientaliste. La Cléopâtre de Cabanel inspirera notamment celle de Edwards dans Cleopatra (1917) et participera à la création de la typologie du personnage. La mythique interprétation d'Elizabeth Taylor dans Cléopâtre doit donc peut-être son intemporalité en partie à Cabanel…
Antoine Lavastre
Comments