Par Antoine Bouchet
Les curieux ont jusqu’au 19 janvier 2025 pour découvrir la sélection proposée par le Musée d’Orsay autour de l'œuvre de Gustave Caillebotte afin de célébrer l'acquisition de la Partie de bateau en 2022 et pour marquer les 130 ans de la disparition du peintre.
Le parcours invite le visiteur à observer la façon dont l’artiste représente les figures masculines au cours de sa carrière à travers plusieurs thématiques. Premier sujet abordé : l’armée. Dès la salle inaugurale, nous sommes confrontés à une conséquence directe de la fortune de la famille du peintre. Ayant les moyens, le père de Gustave Caillebotte paie un remplaçant pour que son fils n’effectue pas son service militaire en 1869. Toutefois, cette aisance financière ne suffit pas au moment de la guerre contre la Prusse. Le peintre est enrôlé dans la défense de Paris, puis sera à nouveau mobilisé en tant que réserviste en 1876 et à nouveau en 1881. De ces expériences, Gustave Caillebotte tire principalement des portraits et scènes banales, comme ce soldat à l’allure décontractée, la main dans la poche et fumant une cigarette.
La suite de l’exposition présente les membres masculins de la famille de l’artiste. Au-delà de leur sujet, les toiles accrochées témoignent du cadre opulent dans lequel grandit Gustave Caillebotte, entre hôtels particuliers en plein Paris et maisons de campagne à quelques kilomètres de la capitale. Véritable dandy qui peint par loisir et n’a pas à se soucier de gagner sa vie, Gustave Caillebotte représente ainsi les parties de billard qui agrémentent son quotidien, ou l’un de ses frères posté debout dans son appartement, regardant la rue par la fenêtre.
Survient alors l’un des chefs d'œuvres du peintre : Les Raboteurs de Parquet, l’un des rares tableaux présentés à appartenir au Musée d’Orsay. Nous ne pouvons que souligner la richesse des prêts obtenus par l’institution, que ce soit en provenance de collections particulières ou de la part du Paul Getty Museum de Los Angeles et de l’Art Institute de Chicago. Les deux musées américains doivent d'ailleurs accueillir successivement l’exposition au cours de l’année 2025. Outre Les Raboteurs de Parquet, plusieurs études préparatoires - pour la plupart issues de collections particulières - sont montrées au public. On peut alors suivre l’évolution des choix de l'impressionniste, qui modifie par exemple la posture de l’un de ses personnages au cours du projet, et surtout le soin porté au corps des ouvriers, notamment à leurs mains.
Le visiteur quitte alors les intérieurs pour se promener dans les rues d’un Paris transformé par les aménagements du baron Haussmann et les innovations de la révolution industrielle. Le Pont de l’Europe, habituellement conservé au Petit Palais de Genève, s’impose à notre vue avec ses dimensions grandioses d’1,25 mètre par 1,80. Là aussi, une esquisse permet de rendre compte des étapes du travail du peintre. La toile représente à la fois un bourgeois en costume et haut de forme et un ouvrier vêtu d’habits plus modestes, signe de l’intérêt égal de Caillebotte pour les différentes classes de la société.
Les salles suivantes montrent cependant davantage de figures bourgeoises, alors que l’artiste croque le portrait des hommes de son entourage. Comme souvent au cours de l’exposition, il se dégage de ces tableaux un certain vague à l’âme si bien défini par Charles Baudelaire quelques années auparavant dans son Spleen de Paris. On remarquera que les textes et cartels du commissariat ne cessent de souligner avec insistance la place importante des hommes dans l’intimité de Gustave Caillebotte, lui prêtant sans jamais l’écrire noir sur blanc des penchants homosexuels qu’on ne peut affirmer ni infirmer. Si l’artiste ne s’est jamais marié ni n’a eu d’enfants, il vivait toutefois en union libre avec Charlotte Berthier, qui apparaît dans plusieurs compositions.
Quoi qu’il en soit, il est certain que la modernité de certaines toiles interpelle, comme cet Intérieur, femme lisant réalisé en 1880 où un personnage féminin - possiblement Charlotte Berthier - lit le journal au premier plan tandis qu’un homme lit un livre allongé sur un divan au second plan. L’originalité de la scène tient au renversement d’activités considérées respectivement comme masculine et féminine.
Le visiteur découvre ensuite quelques nus de l’artiste, un genre auquel Caillebotte s’est très peu adonné. Là encore, les explications suggèrent de manière appuyée l’attirance du maître pour les hommes, alors que, de l’aveu même du musée, « nous ne savons rien » de sa sexualité. Le parcours s’achève sur plusieurs salles consacrées aux sports et activités en plein air que sont le canotage et la voile. Ces tableaux, les derniers de l’artiste, témoignent de son déménagement au Petit-Gennevilliers à l’époque où cette commune des Hauts-de-Seine qui jouxte Paris est encore rurale. La Partie de Bateau, acquise par le Musée d’Orsay en 2022, est mise à l’honneur. On y voit un homme, élégamment habillé, ramer en face du spectateur. Une composition originale qui sert le propos de l’exposition et lui sert d’ailleurs d’affiche.
On ne peut que louer la richesse des quelques 70 œuvres présentées par le Musée d’Orsay, souvent en provenance de l’étranger et de collections particulières. Le choix de s’intéresser uniquement à la représentation des hommes par Gustave Caillebotte atteste de la variété de ses sujets, tout en rendant compte de plusieurs facettes sociales et géographiques de la fin du XIXe siècle. L’affichage des différents points d’attache du peintre sur une carte de la région parisienne est réussie, et permet aux habitués de la capitale de mieux se représenter les évolutions de celle-ci depuis le temps de Caillebotte. On regrettera simplement l’attention inutilement portée à l’orientation sexuelle du peintre, qui n’apporte rien à la compréhension du travail de l’impressionniste.
Informations
Exposition du 8 octobre 2024 au 19 janvier 2025
Tous les jours (sauf le lundi) : 9h30 - 18h
Esplanade Valéry Giscard d'Estaing
75007 Paris
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