Depuis le 16 février dernier, au musée Cognacq-Jay, une nouvelle exposition est consacrée au peintre français Louis-Léopold Boilly (1761-1845) dont la maestria n’a pas suffi à le faire reconnaître de son temps et par la postérité comme un grand maître. L’institution ambitionne donc de mettre en lumière le travail foisonnant de cet artiste talentueux trop longtemps relégué dans l’oubli.
A cette occasion, cent-trente œuvres ont été réunies d’une façon remarquable, fruits de prêts inédits provenant de collections particulières (notamment de la Ramsbury Manor Foundation) comme de collections publiques (musée du Louvre, musée Carnavalet – Histoire de Paris). C’est grâce à un travail de recherche titanesque mené par le commissariat d’exposition – qu’il faut saluer pour ce rassemblement exceptionnel – que de telles œuvres peuvent être présentées pour la première fois en France.
Originaire de La Bassée, petit village situé près de Lille, Louis-Léopold Boilly s’installe à Paris en 1785 à l’âge de 24 ans, dans le contexte tumultueux des évènements révolutionnaires dont le coup d’envoi est lancé quelques années plus tard, en 1789. Tout au long de sa carrière le peintre s’attache à transcrire dans ses toiles l’actualité la plus brûlante et à dépeindre ses contemporains, plongé au cœur de la modernité de la capitale et de la vie qui s’y déroule. Autodidacte, il parvient à se frayer un chemin dans le bataillon des peintres élèves de l’Académie et à exposer l’une de ses toiles, pour la première fois, au Salon de 1791.
L’exposition propose de retracer la carrière de Boilly d’une manière exhaustive, en déployant un corpus polymorphe d’œuvres (scènes galantes, trompe-l’œil, portraits) sur onze salles, dont les deux dernières, situées à l’étage supérieur, font s’achever le parcours au sein de l’espace dédié aux collections permanentes.
La majeure partie de l’exposition nous fait découvrir un Boilly portraitiste de Paris et des Parisiens. En véritable flâneur, l’artiste propose au spectateur d’aller avec lui à la rencontre de la capitale et de la société parisienne dont il n’hésite pas à grossir les traits. Doté d’un grand sens de l’humour dont il teinte volontiers ses œuvres, le peintre place la joie, le plaisir et le rire au cœur de son travail.
Si celui-ci s’illustre par des toiles dont le caractère est enjoué et décalé, cela n’enlève rien à la méticulosité et à la virtuosité technique dont il sait faire preuve. La visite nous montre à quel point Boilly excelle dans la peinture de genre qu’il nourrit bien souvent du souvenir des toiles hollandaises du XVIIe siècle sur lesquelles il avait posé son regard lors d’un court intermède aux Pays-Bas dans les années 1790.
Le fil rouge du parcours consiste à montrer comment Boilly se met en scène et s’insère dans ses propres toiles, se faisant le témoin à la fois oculaire et artistique d’une société et d’une ville qu’il a tant cherché à représenter. L’exposition s’attache ainsi à nouer une complicité avec le spectateur voulue par l’artiste, qui se révèle être un personnage attachant et amusant. Les indices, dissimulés dans les œuvres, nous mettent sur la piste de ce peintre étonnant aux contours énigmatiques et rendent la visite d’autant plus agréable qu’elle est ludique et participative.
La suite du parcours nous invite à faire une incursion dans des salles consacrées à la manière dont l’œuvre de l’artiste s’imbrique dans l’histoire des inventions techniques de l’extrême fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle. La curiosité de Boilly, étendue au domaine des sciences, lui a en effet permis d’alimenter ses toiles d’une grande inventivité inspirée par les nombreux instruments optiques qu’il avait en sa possession. Dans ses trompe-l’œil, terme dont il est à l’origine et qu’il fait breveter, celui-ci se joue du spectateur tout en démontrant une grande ingéniosité. L’œil du visiteur sera également ravi par les imitations et détournements de gravures qu’il se plaît à réaliser, peu de temps après l’invention de la lithographie par Aloys Senefelder en Allemagne en 1796.
La visite se poursuit à l’étage supérieur dans une salle qui s’intéresse aux scènes galantes peintes par Boilly jusqu’en 1794, année où il est inquiété par la menace d’une poursuite pour obscénité par le Comité de salut public. Entre tendance et scission à l’égard des réunions courtoises d’un Fragonard, d’un Watteau ou bien encore d’un Boucher (dont on peut admirer les toiles dans les collections permanentes), le peintre imprègne ses représentations coquines de l’atmosphère de son temps en y incorporant des emblèmes révolutionnaires.
L’exposition se clôt sur une dernière salle qui vise à présenter ses portraits miniatures afin de souligner la complexité typologique d’un art qu’il a cherché à épuiser tout au long de sa carrière. On regrette cependant que ceux-ci soient comme « noyés » parmi les œuvres peintes et les objets décoratifs de ses contemporains. On peut également déplorer l’absence de conclusion à la fin de l’exposition, qui fait se terminer le parcours d’une manière quelque peu abrupte.
A côté de cela, il faut reconnaître la grande qualité de cette exposition qui met un point d’honneur à présenter tous les aspects et les sujets de l’œuvre de Boilly. Puisqu’en effet, l’artiste a peint des paysages tout autant que des natures mortes et des scènes mythologiques et ce sur tous les supports (toile, bois, métal, papier et verre). On appréciera donc la grande diversité dans la sélection des œuvres, dont l’accrochage et la disposition ont été, semble-t-il, savamment pensés et ficelés. En ce sens, il faut saluer le caractère ergonomique du parcours et la scénographie que l’on doit à Cécile Degos, qui pallient le problème de l’étroitesse de certaines salles et offrent un espace propre à chaque œuvre mise en valeur par une esthétique claire et sobre.
L’excellente idée de l’approche thématique, soulignée par le découpage par salle, donne une grande clarté au propos de l’exposition et permet d’appréhender sereinement le travail de l’artiste. La remise en contexte des toiles à l’entrée de chaque pièce nous permet ainsi d’en apprécier le contenu.
Notons également le côté didactique de l’exposition appuyé par d’utiles dispositifs de médiation (dispositif multimédia, cartels illustrés, cartographie) au service du spectateur néophyte comme de l’initié ou du plus fin admirateur et connaisseur de l’art de Boilly. Tout est donc mis en œuvre pour permettre au visiteur d’obtenir les clés nécessaires à la bonne compréhension de chacune des toiles qui, pour la plupart, bénéficient de cartels bien fournis apportant de précieuses informations.
Si les œuvres présentées dans cette exposition valent le détour, le cadre historique de ce musée-hôtel particulier dans lequel elles s’insèrent harmonieusement fait la promesse d’une expérience originale et plaisante.
Il faut donc saluer le travail du commissariat général (Annick Lemoine et Sixtine de Saint-Léger) et du commissariat scientifique (Étienne Bréton et Pascal Zuber) qui ont réussi le « pari » de faire la part belle à l'art virtuose et passionné de Boilly.
Pour voir cette exposition qui se tiendra jusqu’au 26 juin 2022, il faudra débourser 8€ pour un tarif plein et 6€ pour un tarif réduit. En complément, le catalogue de l’exposition, Boilly. Chroniques parisiennes, au prix de 29,90€, qui propose des essais thématiques rédigés par les spécialistes de l’artiste, permettra d’enrichir la connaissance de son œuvre.
Pour en savoir plus sur l'exposition Boilly (1761-1845), Chroniques parisiennes, cliquez ici.
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