Il y a encore trente ans, seuls quelques érudits locaux connaissaient le nom de Balthazar-Jean Baron (1788-1869). Il aura fallu cent-trente ans, un article dans la revue Nouvelles de l’estampe, deux expositions, la passion d’un couple - Colette et Étienne Bidon - et la découverte d’un fonds d’atelier de près de cinq-cent-vingt-cinq dessins, lavis et aquarelles dans les réserves de la galerie Paul Prouté pour sortir cet artiste de l’ombre. Retour sur l’itinéraire et la production pleine de poésie d’un infatigable dessinateur du pays lyonnais.
Une vie lyonnaise
Lyonnais, Balthazar-Jean Baron (parfois orthographié Balthazard) l’est toujours resté. Né en 1788, l’homme grandit vraisemblablement au cœur de l’ancienne Lugdunum. Nous insistons sur le terme « vraisemblablement » car très peu de données relatives à cette période de sa vie nous sont parvenues. Entre incendies et pertes de documents, les archives se sont révélées bien souvent muettes. Colette E. Bidon, dans le catalogue de l'exposition consacrée à l’artiste en 2000 au musée de Brou, précise qu’il s’est probablement marié aux alentours de 1815-1820. De cette union avec Marie Pitiot nait deux ans plus tard une fille, Félicie, qui se marie elle-même en 1839.
Si Balthazar-Jean Baron baigne très tôt, par passion mais aussi de par ses relations, dans le ilieu artistique, il n'en reste pas moins soyeux de profession.
Il est, en 1821, l’un des membres fondateurs de la Société des Amis des arts de Lyon, éditrice durant plusieurs années d’albums de lithographies d’artistes lyonnais. En 1839, introduit par son ami Augustin Thierrat, alors directeur du musée des Beaux-Arts, il entre au conseil consultatif des Beaux-Arts (et ce jusqu’à sa mort). Il occupe également, en tant qu’industriel, une place politique dans la vie de la cité. Il siège au conseil des prud’hommes de 1836 à 1839. De 1843 à 1845, il est juge au Tribunal de Commerce avant de se présenter aux élections législatives de l’Assemblée Constituante en 1848. L’appartement dans lequel il réside, au 47 rue des Farges, sera celui dans lequel il décèdera en 1869. Sa sépulture est aujourd’hui non localisée.
Le pays lyonnais au bout du crayon
Dès le début des années 1810, Baron sillonne les environs de Lyon et débute une production graphique assez abondante. À une époque où la représentation de paysage connaît de progressifs bouleversements, dans les cercles lyonnais avec la trace indélébile laissée par Jean-Jacques de Boissieu (1736-1810), et plus largement en France avec les prémices du Romantisme, Baron livre sa propre interprétation de la nature qui l’entoure. Ses nombreux voyages d’affaires à Paris et dans les environs, notamment à Fontainebleau, non loin de Barbizon, nourrissent également sa pratique. Baron s’inspire dans un premier temps des peintres hollandais du XVIIe siècle. Il poursuit en s’adonnant à la réalisation de vues topographiques très précises des environs de Lyon, aujourd’hui précieuses car bon nombre des lieux décrits ont connu des modifications conséquentes. Ne restent de leur état du XIXe siècle que ces souvenirs de papier.
Mais ce qui constitue une part importante de sa production, ce sont des vues prises sur le vif, enlevées et nerveuses. Mêlant lavis, plume ou crayon, ces vues frôlent parfois l’inachevé. Les espaces sont esquissés, les compositions parfois singulières mais l’ensemble reste d’une grande lisibilité. Certaines de ces feuilles portent encore les marques du carnet auquel elles étaient sans doute rattachées. Un élément est à mettre en exergue dans cette production : la majesté de la nature et la petitesse de l’homme. Les paysages s’étendent à perte de vue, laissant parfois apparaître en leur sein quelques figures humaines et animales. Des périodes créatrices spécifiques sont mises en évidence par Marie-Françoise Poiret en 2000, comme la période dite des « Portraits d’arbres » entre 1845 et 1850 ou encore celle dites des « Buttes et rochers » entre 1850 et 1857.
L’artiste se met également abondamment en scène, bien souvent en position de contemplation devant l’immensité, pourrions-nous dire tel le voyageur de Friedrich. Par exemple, la figure du marcheur vêtu d’un haut couvre-chef et d’un bourdon de pèlerin apparaissant de manière fournie dans ses feuilles est en réalité l’artiste lui-même. Il se représente occasionnellement avec d’autres figures, des amis, son épouse.
Lithographie et renouvellement de l’eau-forte
Très tôt, Baron s’adonne à la pratique de la lithographie. La plus ancienne connue de sa main est datée de 1812 et représente la Route de Willach à Salzbourg par les Alpes noriques. L’artiste est alors sans doute mobilisé dans l’armée à cette période. Il faut ensuite attendre 1824 pour le voir produire à nouveau des lithographies mais c’est réellement vers la fin de sa vie, au fil de ses ultimes voyages lointains - comme en Suède en juin 1868 -, qu’il en produira un nombre important. La lithographie connaît à Lyon, à la fin des années 1810, un lent renouveau. À partir de 1812, la Société des Amis des Arts de Lyon publie à fréquence régulière des albums lithographiques, en majorité composés de vues topographiques de monuments. Le tirage ne s’effectue alors pas encore à Lyon mais majoritairement à Dijon et Paris. Il faut attendre 1821 pour voir l’imprimeur H. Brunet installer quatre presses lithographiques dans la Capitale des Gaules. Plus tard, Baron fait tirer ses épreuves dans l'atelier de la veuve Giraud. Environ soixante-dix lithographies de son cru sont répertoriées.
Mais l’artiste s’adonne également à la gravure à l’eau-forte, et ce dès 1826. Cette technique connaît également un véritable renouveau dans la sphère lyonnaise - qui ne fera que croitre dans les décennies suivantes avec des artistes comme Adolphe Appian, Paul Borel ou encore Joseph Trévoux - par une vague de paysagistes également nourris entre autres par les travaux de Jean-Jacques de Boissieu (1736-1810). Près de deux cents pièces de Balthazard-Jean Baron sont à ce jour répertoriées. L’iconographie est la même que pour ses dessins : des vues de monuments, des caravanes de paysans, l’artiste lui-même et toujours une nature souveraine.
Balthazar-Jean Baron, artiste qualifié - parfois péjorativement - d’amateur, a laissé son empreinte sur cette école lyonnaise du XIXe siècle. Ses paisibles vues des environs de la capitale des Gaules nous en disent finalement beaucoup sur les changements structurels de la région lyonnaise.
Tombé dans l’oubli, la qualité et l’originalité de la production de Baron n’ont pas manqué d’attirer l’œil de quelques amateurs, qui ont activement œuvré à la redécouverte de cet infatigable dessinateur qui a livré un Œuvre sensible, au travers duquel transparaît sans dissimulation l’amour d’un homme pour la nature l’environnant, et pour sa région. Reprenons pour clore cet écrit les mots d'Auguste Bleton en 1899 : « Il n'est pas rare que, sous une enveloppe de commerçant, habite une âme d'artiste. [...] Aussi ne saurait-on laisser tomber en complet oubli le nom de Baron, qui, en poursuivant sa carrière commerciale, a pratiqué cet art délicat et difficile du burin et de la pointe. »
Références bibliographiques
Bidon Colette E., Balthazard-Jean Baron, dessinateur-graveur lyonnais (1788-1869), Nouvelles de l'Estampe, n°165, juillet-septembre 1999, pp-6-43.
Bidon Colette E., Un artiste retrouvé, Balthazard-Jean Baron (1788-1869). Catalogue d'exposition, Lyon, Bibliothèque municipale de la Part-Dieu. Septembre 1999
Bidon Colette E., Balthazard-Jean Baron (1788-1869), dessinateur-graveur lyonnais. Catalogue d'exposition, Bourg-en-Bresse, musée de Brou. Mars 2000.
Bleton Auguste, Balthazard-Jean Baron, graveur lyonnais, Revue du Lyonnais, 1899. Pp 385-395.
Bonafous-Murat Arsène, Baron in Paysages pittoresques en taille-douce. Paris, 1993.
Prouté Paul, Un vieux marchand de gravures raconte. Paris, P.Prouté, 1980.
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