Pareille à la fumée de la cigarette, une ligne onduleuse naît de la nuque dégagée et court jusqu’au bas de la robe du soir imaginée par Paul Poiret. Par un trait exact et continu se dessine la silhouette gracile d’une élégante. Elle est la vision peuplant l’œuvre d’André-Edouard Marty (1882 – 1974). Talentueux dessinateur baignant dans l’esthétique Art déco, ses illustrations décrivent la mode des années folles. La coupe se dit à la « garçonne », les robes tubulaires se raccourcissent laissant apparaître les chevilles, les joues et les lèvres se voient rehausser sensiblement.
Après avoir étudié la philosophie puis voyagé en Italie où il réalise ses premiers dessins, André-Edouard Marty entre à l’Ecole des beaux-arts de Paris. Avec Fernand Cormon, lui-même élève de peintres célèbres à l’instar d’Alexandre Cabanel ou de l’orientaliste Eugène Fromentin, à Montmartre, Marty apprend les rudiments de la peinture. Dans cet atelier plane encore l’aura de ses illustres prédécesseurs parmi lesquels Van Gogh, Soutine, Bernard et Toulouse-Lautrec.
Poussé par le maître à révéler sa singularité, l’élève déploie librement un style séduisant et mesuré, loin de l’impudence des avant-gardes du début du siècle.
La douceur qui le caractérise le conduit sans surprise aux illustrations enfantines. Dans la veine de Maurice Boutet de Monvel, Marty réalise plusieurs albums de dessins accompagnant comptines et rondes. En 1943, il va même jusqu’à produire les images d’un dessin animé intitulé Callisto, la petite nymphe de Diane.
Ce rapport à l’enfance se combine bientôt à l’univers de la mode dans lequel André-Edouard Marty va faire carrière en tant qu’illustrateur des couturiers les plus en vogue.
Ses illustrations de mode d’enfants polis et soignés séduisent inévitablement Jeanne Lanvin dont le lien maternel avec sa chère fille Marguerite transparait souvent dans les créations. En tant que première muse, la petite Marguerite apparaît naturellement sur le logo Lanvin, dessiné en 1923 par l’illustrateur Paul Iribe et figurant sur le fameux parfum Arpège.
Le rapprochement établi entre les créations d’Iribe et de Marty peut expliquer le goût particulier de certains couturiers pour ces deux illustrateurs. Ainsi Georges Dœuillet, Charles Frederick Worth et Paul Poiret par exemple confient à André-Edouard Marty la reproduction graphique de leurs robes.
La retenue des illustrations de Marty, empreintes d’une sagesse de bon goût, tranche formellement avec les sophistications et les originalités de ses contemporains Erté, Georges Barbier et Georges Lepape.
Fort d’un succès grandissant, Marty travaille désormais pour les plus grandes revues de mode dont Vogue, Harper’s Bazaar, Femina, La Gazette du Bon Ton, Vanity Fair…
La mesure n’excluant pas une pointe d’humour, Marty sait aussi animer ses modèles d’une espièglerie attachante, évoluant dans quelques paysages champêtres et estivaux.
Paul Poiret le sollicite pour immortaliser ses fêtes costumées restées célèbres pour leurs extravagances, notamment à l’occasion du dancing « L’Oasis » installé par le couturier en 1919. Les dessins de Marty retranscrivent alors l’ambiance de ces divertissements insolites imprégnés d’un parfum d’exotisme influencé par les Ballets russes.
Parallèlement, Marty reçoit des commandes d’éditeurs et illustre plusieurs ouvrages littéraires. Le grand éditeur de luxe Henri Piazza engage divers illustrateurs pour ses précieuses collections, parmi lesquels Alphonse Muchas, François Kupka et Charles Guérin. Marty se voit confier quelques exemples majeurs : L’Art d’aimer d’Ovide, Candide de Voltaire, Le Roman d’un enfant de Pierre Loti, Les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, Manon Lescaut de l’Abbé Prévost ou encore La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette.
L’activité d’André-Edouard Marty apparaît très variée. Son outil de dessinateur le conduit à explorer des domaines éclectiques. Ainsi le théâtre et le cinéma, pour lesquels il imagine décors, affiches et costumes, l’habitent sporadiquement. Sa production pour les magazines s’étend au-delà du domaine de la mode lorsqu’il réalise plusieurs couvertures pour le magazine américain House and Garden dédié à la décoration intérieure et au jardinage. Lui-même décorateur à ses heures, Marty est également l’auteur de projets de papiers peints, édités par des décorateurs et architectes emblématiques de l’Art déco, Louis Süe et André Mare. Sa participation au 25e salon de la Société des artistes décorateurs en 1935 et au Pavillon des Artistes Décorateurs lors de l’Exposition internationale « des Arts et des Techniques appliqués à la Vie moderne » de 1937 pour lequel il réalise des panneaux peints confirment son intérêt pour la discipline.
Illustrateur, affichiste, décorateur et réalisateur, André-Edouard Marty a produit une œuvre considérable, aujourd’hui méconnue bien qu’elle fit pendant longtemps la une des plus grands magazines.
Margaux Granier-Weber
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